Anonyme [1649], LE PARTISAN TENTÉ DV DESESPOIR PAR LE DEMON DE LA MALTAVTE, QVI LVY REPROCHE LES CRIMES de sa vie, & cause son repentir. DIALOGVE. , françaisRéférence RIM : M0_2722. Cote locale : A_6_61.
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LE
PARTISAN
TENTÉ DV DESESPOIR
PAR LE DEMON
DE LA MALTAVTE,
QVI LVY REPROCHE LES CRIMES
de sa vie, & cause son repentir.

DIALOGVE.

A PARIS,
Chez ARNOVLD COTINET, ruë des Carmes,
au petit IESVS.

M. DC. XLIX.

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LE PARTISAN TENTE
du desespoir par le Demon de la Maltaute,
qui luy reproche les crimes de sa vie, & son
repentir.

Vn Partisan plein de melancholie noire, pour voir de iour en iour accroistre
la puissance du legitime parti du Roy par la bonne conduite des
Princes & du Parlement, qui le menace du chastiment de ses crimes,
resuant en vn lieu secret à S. Germain, ayant ouuert la bouche à
la plainte, il entend vne voix qui luy respond : laquelle interrogée
de luy, s’aduouë estre le Demon de la Maltaute. Sur quoy s’estant
ouuert entr’eux vn pour parler assez notable, quelqu’vn l’ayant entendu
par rencontre, en fait icy le recit, qui sera creu du Lecteur,
si bon luy semble.

Le Partisan.

C’EST à ce coup & tout de bon que nous sommes menacez
de la ruine de nos biens & de nos vies, & que les cris de ce
peuple a touché le Ciel, puis qu’il semble les proteger. C’est
à ce coup qu’il faut perir, puis que ce Parlement s’obstine à
la recherche de nos crimes pour en faire le chastiment. Helas ! qu’il est
bien vray que les felicitez de ce monde sont mal asseurées & fort peu
durables ! C’est bien vn mesme Soleil qui fait nos iours, mais ce n’est pas
vn mesme sort qui les conduit ; quelle difference i’y treuue ! La Fortune
m’a fait monter par vn escalier à repos au sommet de sa rouë,
mais ne me voyant maintenant en cette éleuation que sur vn point, il
me semble que le moindre mouuement me doit precipiter en bas, pour
deffaire en vn moment son ouurage de plusieurs années : ha que ces pensées
me donnent d’inquietude, & qu’il est douteux & mal asseuré de
s’appuyer sur ceux qui sont menacez d’vne mesme cheute !

Le Demon.

Il est vray, cher Amy, tout est perdu pour nous, & l’espoir mesme qui
est la derniere piece qui reste aux miserables, nous est osté, puis que ces

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puissans arbitres de nos biens & de nos vies, ces iustes protecteurs des
innocens sont eux mesmes protegez du ciel & de la terre.

 

Le Partisan.

Mais d’où vient cette voix plaintiue, qui seconde & compatit si bien
à mes peines, me parlant auec tant de douceur ? Ie ne voy, ce me semble,
personne icy de visible, Qui estes-vous ?

Le Demon.

Ie suis le Genie de la Maltaute, autrefois aussi puissant qu’aimé : ie
suis ton meilleur ami, ton guide & l’architecte de ta fortune, ie voudrois
bien estre aussi ta consolation : mais par malheur ie ne le puis, la Iustice
du Ciel ayant prononcé nostre Arrest pour le faire executer sur la terre.

Le Partisan.

Mais tout de bon es-tu cet esprit, qui nous as animez & conduits iusques
icy ?

Le Demon.

Ouy, ie le suis, & voudrois bien le pouuoir estre tousiours, s’il estoit
possible.

Le Partisan.

Ha ! cher autheur & confidant de nos monopoles, que tu viens à propos
pour me conseiller en cette confusion & mauuais rencontre d’affaires.
Tes inuentions iusques icy ont esté le salut & la prosperité de nos
biens, il faut qu’elles le soient maintenant de nos vies.

Le Demon.

Helas! quel conseil pouuez vous attendre de moy dans ce trouble,
estant ébranlé d’vne si rude secousse, que ie ne subsiste plus que dans la
haine publique. Il est vray que ie n’eusse iamais creu voir vn tel changement,
& que mon establissement & vos fortunes si solides en apparence,
fussent suiets à la vicissitude du temps. I’auois pris, ce me semble,
d’assez profondes racines, & les fondemens de nostre regne monopoliste,
paroissoient bien establis, les plus puissans Ministres de l’Estat
ayant tousiours trauaillé à le maintenir, plus pour leur interest que pour
le nostre, depuis le regne du feu Roy iusques à present. Voyez, ie vous
prie, quel malheur !

Le Partisan.

A la verité cela est fascheux de nous voir attaquez à l’impourueu, &
mesme d’vn ennemi que nous auons veu opprimé à nostre consideration,
& presque sur le point de succomber sans le secours de ce monstre à tant
de testes : pour moy, ie vous aduouë que mon esprit s’égare en cette
conioncture.

Le Demon.

Mais ce n’est pas le tout : car auec le dommage, ie voy encore la honte
qui nous opprime, chacun estant maintenant instruit de nostre infame

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& ruineux commerce, qui fait horreur à la nature, ayant renuersé
tout droit diuin & humain pour vous éleuer.

 

Le Partisan.

Ha ! que cette éleuation nous met en peril, ie fremis à la veuë du
precipice qui la regarde.

Le Demon.

Voila que c’est de n’auoir point de bornes, & d’auoir voulu prendre
vn si grand vol.

Le Partisan.

De grace, cher amy, ostez ce mot, il fait trembler ma conscience :
il me semble desia d’ouyr prononcer mon Arrest de mort.

Le Demon.

Il est vray que vous auez suiet de vous estonner de tant de mauuais
presages que ceux que vous entendez tous les iours de ce qui se fait au
vray à Paris contre vous.

Le Partisan.

Si faut-il pourtant se consoler vn peu, & mesme esperer mieux, voyant
que les plus puissans du Conseil s’interessent à nostre perte, & se resoluent
de perdre plustost l’Estat, que de ceder, & sur tout le Cardinal
Mazarin.

Le Demon.

Vrayment vous auez raison, vous voila bien appuyez. A quoy songez-vous ?
Il semble que vous ignoriez que son procez s’en va fait & parfait,
& le vostre par mesme moyen, parce que le vol de tant de millions
en estant vn des principaux chefs, il faudra danser auec luy. Ie
croy qu’il n’aura point d’auantage par dessus vous, sinon que de mener
le branle.

Le Partisan.

Il est vray, mais on ne nous tient pas tous.

Le Demon.

Non pas pour cette heure. Il y en a pourtant quelques vns en cage, que
l’on fera parler aux despens des autres, & puis vos biens sont confisquez :
& si le party du Conseil qui vous soustient, va tousiours de pis en pis, &
l’autre de mieux en mieux, comme on a veu iusques icy : il n’y a plus
de seureté pour vous, vostre chef estant estranger & hay de toute la
terre, si bien qu’estans reduits à l’extremité, les autres vous abandonneront
en s’accommodant pour faire les affaires du Roy, de l’Estat, & les
leurs.

Le Partisan.

Où sera donc l’azyle des Partisans, s’il est ainsi ? Ha que vos discours
me font regretter le passé, estonner du present, & redouter l’auenir.

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Le Demon.

Ie le croy, & vous plains grandement, voyant que vos felicitez passées,
dans le souuenir de leur cause, ne seruent qu’à former en vostre
cœur ce bourreau interieur, qu’on appelle Syndereze, dont ie ne doute
pas que vostre conscience ne soit incessamment tourmentée.

Le Partisan.

Mais quel remede à cela ? N’en sçauez-vous point d’autre que celuy de
desesperer nos affaires, pour redoubler nos craintes, & nous faire resentir
nos maux auant le temps ?

Le Demon.

A quoy bon vous flatter, vous ayant tousiours aimez, comme vous
auez peu voir par vn progrez si prospere que celuy de vos fortunes, ay-ie
pas raison d’en craindre pour vous la funeste fin ?

Le Partisan.

Et moy, bien que ie vous aye tousiours suiui auec ardeur pour l’vtilité
de vos moyens, ie suis tout prest en ce rencontre de maudire le iour
que i’eus la premiere pensée de suiure vos appas, & me donner à vous.

Le Demon.

Pourquoy ? puisque vous auez eu ce que vous desiriez par mon
moyen, & que ie vous ay éleué si haut.

Le Partisan.

Si vous m’auez éleué, ie vous ay fait valoir, & rendu necessaire, prenant
vos interests comme les miens, sans craindre la disgrace du Conseil,
ny la haine du peuple.

Le Demon.

Et moy, cependant que vous trauailliez en seureté, & à vostre aise dans
le cabinet ou dans le Conseil, pour faire receuoir vos aduis, i’ay couru
la campagne pour vos interests, où i’ay souuent veu faire des sacrifices
de mes enfans immolez par le peuple en sa fureur, parce qu’ils venoient
executer vos ordres : & voila comme les innocens patissent pour les
coupables.

Le Partisan.

Il semble que vous en veniez aux reproches.

Le Demon.

Et vous aux mespris & au repentir ?

Le Partisan.

Il est vray, mais c’est trop tard, Laisse moy donc, puisque tu nous
es inutile, aussi bien tu me donne à mal penser de ton procedé, & que
tu ne sois de l’ordre de ces faux Luisans qui conduisent aux precipices.
Ie voy bien desia que les prosperitez acquises par ton moyen, passeront
comme vne illusion, & seront peut estre la cause de nostre perte.

Le Demon.

Tu t’en dois asseurer, mais elles n’en seront pas la seule cause, c’est ton
ambition qui t’a perdu, aussi bien que ton auarice enragée : & si ce ne

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sont encor que les moindres de tes vices, d’auoir esté voleur, ambitieux,
& auare, & de t’estre gorgé de la substance, du labeur, & du sang du
peuple.

 

Le Partisan.

C’est toy, ministre de Satan, qui m’as fourny des aisles, qui as eschauffé
mon esprit à prendre vn si grand vol, & m’as fait produire tant d’inuentions
ruineuses à cet Estat : Enfin c’est en ton escole que i’ay perdu
l’innocence & la probité.

Le Demon.

Tu ne fis iamais cette perte ; mais ce n’est pas assez declarer tes crimes,
que de les auoüer en gros, il faut que ie t’en remette en memoire le
détail : cela seruira à ta Confession generale, si tu estois en estat de te resoudre
d’en faire vne en ta vie ; escoute donc. N’est ce pas toy, qui
comme vn autre Herode, mais pire encor, as enuoyé tes satelites armez
de fusils batre par tout la campagne, pour opprimer les innocens, qui
sous le pretexte de l’execution des Edits du Roy, où cette violence n’estoit
nullement comprise, as comme vn torrent tout desolé & deserté,
faisant pis que toutes les hostilitez de la guerre n’ont iamais fait : puis
que non content de la saisie des meubles, du bestial & des fruits de ces
pauures gens, tu as fait vendre leurs fonds, ostant la vie aux enfans de
la mamelle, & le pain aux autres ; en faisant mourir leurs meres de
frayeur, & leurs peres dans les prisons, non tant pour leurs debtes, que
pour seruir de caution à des insoluables, & ruinez desia par tes concussions.
Est-ce pas encore toy, qui as fait brouter l’herbe aux creatures
raisonnables ? Ouy c’est toy, & qui sans cette reuolution d’affaires,
ayant trouué de nouueaux moyens de cruauté pour fauoriser tes pilleries,
allois combler les Hospitaux, aussi bien que les prisons, en continuant
ton commerce inhumain.

Le Partisan.

Il est vray, voila tout ce que tu m’as suggeré, & ma coulpe de m’estre
attaché plustost par habitude que par inclination à ton negoce honteux.

Le Demon.

Comment, magazin de tous vices, penses-tu t’excuser en m’accusant ?
Suis-ie cause de toutes tes profusions, si ce n’est à raison de ton abondance ?
Est-ce moy qui t’ay sollicité d’auoir des carosses, apres les auoir
suiui autresfois, d’auoir tant de valets, des Palais à la ville, des Maisons
de plaisance aux champs, bastis & accompagnéz si superbement,
que la despense en faisoit horreur, & où les meubles somptueux & plus
magnifiques que le luxe curieux peut rechercher, faisoit souspirer chacun
de leur excez, se ressouuenant de la misere publique, & de voir vne
ambition si desordonnée.

Le Partisan.

Pourquoy ce reproche, Monstre infernal ? M’estoit il defendu de paroistre
selon ma condition, & de contenter vne passion si noble ?

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Le Demon.

De ta condition, malheureux, ha pauure aueuglé de prosperité ! Ne
te souuient-t’il plus de ton origine ; & que tu fis ta sortie, ou bien ton
pere, d’vne maison couuerte de chaume, où la toille d’araignée seruoit
de tapisserie ? & qu’estant venu icy armé seulement de plume & d’argot,
tu as si bien volé de l’vne & serré de l’autre, que tu t’es éleué si haut ?
mais ne t’afflige point de ta cheute, encore que tres-asseurée, tu ne sentiras
point le mal qu’elle te fera, car tu tomberas sur rien.

Le Partisan.

Que tu as mauuaise grace de me reprocher les effets dont tu es la cause.

Le Demon.

Il n’y a point d’autre cause en cela que ton mauuais naturel, non plus
qu’en cecy. Diras-tu que c’est moy qui t’ay sollicité de donner des commissions
dangereuses à des maris pour t’en deffaire, & pour entretenir
à ton aise leurs coquettes de femmes, auec carosses, meubles & equipages
de Dames de condition : cependant que tes pauures parens abandonnez
à la disette, passoient à ta porte pour inconnus, parce que tu
auois plus de crainte de prendre part à la honte de leur necessité, que tu
n’aimois de leur faire part de tes biens.

Le Partisan.

Ie leur donnois pourtant du pain quelquefois.

Le Demon.

Ouy, mais ce n’estoit pas à ta table, où la profusion se treuuoit auec
tant d’excez, que tes moindres repas auroient passé pour des festins, sans
conter les honteuses recreations de tes Palais enchantez, où tes considens
se gorgeoient auec toy de voluptez criminelles, où tu tenois vn
honteux berlan de toutes sortes de ieux de hazard, où tes moindres pertes
auroient suffi, pour tirer beaucoup de familles de la necessité, si elles
eussent esté employées à leur profit.

Le Partisan.

Que voulois tu que ie fisse de tant de biẽs, sinon pour en passer le temps,
& en faire des amis ? Ce n’est pas que ie n’en aye employé vne partie
assez vtilement, puisque i’en ay eu de belles charges à mes enfans.

Le Demon.

Cela est vray, mais tu n’as pas donné tes enfans à ces charges, car la
la pluspart estoient incapables de les remplir, pour auoir esté aussi mal
nourris & éleuez que leurs peres.

Le Partisan.

Ils ont eu pourtant des filles de bonne maison, qui auec leurs charges
les maintiendront en credit.

Le Demon.

Ils seront donc plus heureux que toy, encore qu’il soit certain que le
bien que tu leur as laissé estant mal acquis, ne doiue pas durer iusques
à la troisiesme generation.

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Le Partisan.

Que m’importe, ie n’en verray rien, mais i’ay des filles bien mariées,
dont l’aliance sera peut-estre mon salut & mon appuy.

Le Demon.

C’est dequoy ie doute fort, mais non pas qu’elles ne soient auec leur
infame dot le malheur de tes gendres, pour auoir par motif d’auarice
mis cette corruption en leur maison : Et pour ton appuy, tu es bien loin
de ton compte, car il n’y a pas vn d’eux, qui ne te voulust pendre luy-mesme,
à la charge d’auoir ta confiscation.

Le Partisan.

Ha malin esprit, que te sert de me remettre tousiours en la pensée cette
image funeste de mon chastiment ? Tay-toy.

Le Demon.

Ie n’en feray rien, ingrat, car i’ay encore d’autres choses à dire contre
toy, & veux estre vne Furie implacable, qui te suiura par tout iusques
à ce que ie t’aye mis es mains de tes iuges, & des leurs en celles du bourreau,
si toutesfois tu ne preuiens cette mort par vne autre plus courte &
precipitée.

Le Partisan.

Mais tu periras aussi ?

Le Demon.

Ie le croy, mais ie ne m’en soucie gueres, car ie reuiendray peut-estre
en vn autre temps, quand les pechez des hommes m’attireront des
Enfers d’où ie suis venu sur la terre. Ie pretens bien en m’y retirant de t’y
conduire : mais pour toy tu n’en bougeras.

Le Partisan.

Ho ho, tu te declares à ce coup, mais vne crainte mortelle se saisit de
mon cœur. Est-il possible que i’aye esté si long-temps obsedé d’vn tel
Demon, & que i’aye aimé ce que ie crains tant à cette heure. Helas ! vn
repentir salutaire, mais il m’est autant possible de l’auoir, comme de restituer
à chacun ce que i’ay pris.

Le Demon.

Tu dis vray ie n’y voy point d’apparence, pour estre trop endurcy en
ton peché, marque certaine de l’abandon que Dieu a fait de toy à sa iustice
prochaine.

Le Partisan.

Bien que tu respondes à ma pensée, tu ne sçais pas celle de Dieu, qui
me fera s’il luy plaist misericorde.

Le Demon.

O que tu es bien esloigné d’y pretendre ! Tu en as trop fait & n’en dois
pas esperer si bonne composition, que celuy qui se fit enterrer sous ceste
pierre, qui sert au passage du ruisseau deuant l’horologe Saint Eustache,

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que l’on appelle de son nom le Pont-Alais ; Ce fut vne marque de son
repentir pour auoir mis l’impost d’vn denier sur quelque denrée à Paris,
Regarde où tu es en comparaison.

 

Le Partisan.

Il est vray que mes pechez sont en grand nombre, mais ils ne sont
pas infinis comme la misericorde de Dieu, c’est pourquoy il y a lieu d’y
esperer.

Le Demon.

Point du tout, car auec ta coulpe, tu porteras encore celle que tu as
causée par ta suggestion & mauuais exemple : car toutes les personnes
pecunieuses tentées du gain de ton monopole, se sont disposees de se
mettre dans les partis, & les autres dans cet employ de leur argent, que
l’on appelle discretement, les prests, mais qui est toutesfois vne vsure
trop descouuerte.

Le Partisan.

Vraiment il faloit bien que l’on nous aidast, n’estans pas assez forts
pour fournir tous seuls à de si grosses auances, à quoy nous nous obligiõs
par nos traittez, bien que nous fussions encor assistez d’ailleurs des
plus grosses testes du Conseil, sous le nom de personnes empruntées.

Le Demon.

Ainsi la fin couronne l’œuure : car beaucoup de vous autres, pour
n’auoir pas bien pris leurs mesures, se sont trouuez courts & obligez de
faire banqueroute, & ont mis à part ce qu’ils ont peu ; de sorte qu’il n’y
a rien esté du leur ; & le dommage est tombé sur les pauures prestans,
dont les deniers ont serui à la derniere main des Traittãs, qui en peuuent
viure à leur aise, l’ayant asseuré sous le nom de leurs confidens. Enfin
tous ceux qui ont mis leur argent entre vos mains, sous cette qualité de
prest, se treuuent maintenant arrestez dans cette mauuaise conioncture
d’affaires, & courent fortune de demeurer confondus dans la restitution,
que la Cour de Parlement vous oblige de faire, de l’argent du Roy
volé, auec la confidence de vostre Ministre, cependant que ces pauures
gens demeurans desargentez, comme de vieux calices de village, pour
comble de malheur, ne sont plaints de personne en leur affliction, si ce
n’est de leurs heritiers, tout le monde sçachant que leurs deniers estoient
employez à vn si mauuais vsage que ces prests vsuraires : & voila comme
il fait bon suiure vostre cabale ruineuse à l’honneur, aux biens, & à
l’ame.

Le Partisan.

Mais à quoy te sert de nous poursuiure de la sorte ?

Le Demon.

C’est pour me payer, s’il se peut, par mes mains, des interests du plaisir
que ie vous ay fait, me ioüer de vous à mon tour, vous perdre tous en
quittant la partie, & puis me retirer, c’est mon ordre.

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Le Partisan.

Si ce sont là tes pretentions, tu n’y es pas encore.

Le Demon.

Mais vous y serez bien tost, ie veux dire au gibet, où ie vous attens.

Le Partisan.

Il y aura de la moderation, & l’on se contentera de nos biens, sans poursuiure
la perte de nos vies : cela estant inutile au bien de l’Estat, nostre
commerce aboly.

Le Demon.

Vraiment vous auez raison, laissez-les encore viure, ces sangsuës publiques,
pour affliger de leur presence ceux dont ils ont causé la perte : cela
auroit esté bon au temps que l’on faisoit la recherche de ces Financiers,
dont les crimes n’estoient que des pechez veniels à l’esgard des vostres, &
qui n’auoient en teste qu’vne chambre de Iustice, qui se contentoit de
presser seulement vn peu l’esponge : & non pas vn Parlement iustement
animé, pour auoir esté à la veille de sa perte par vostre moyen. Non, non,
vous deuez l’exemple de vostre chastiment par corps, de mesme que vos
biens la restitution des voleries estranges que vous auez commises. C’est
folie à vous d’en esperer autre chose, ou bien Dieu sera sourd à la voix du
sang espandu, des morts & des mourans par la misere publique que vous
auez causée, & de la vefue & de l’orphelin, qui tous crient incessamment
vangeance deuant son throsne, pour impetrer de sa iustice, qu’il n’vse
point de misericorde pour vous & vos semblables.

 


Il faut danser, mes bons amis,
Pour les crimes par vous commis,
La Cour vous prepare la note,
Dés long temps le Ciel ordonna,
Que vous danseriez la gauote
Au son d’vn Salue Regina.

 

Le Partisan.

Va, laisse-moy, fleau des ames affligées, c’est assez de ma memoire & de
ma conscience pour me tourmenter.

Le Demon.

C’est toy, tison preparé pour l’Enfer, qui peux estre appellé à bon titre
fleau, puisque Dieu s’est seruy de toy pour chastier son peuple. Mais apprens
que c’est sa coustume de luy pardonner, apres qu’il s’est reconneu &
humilié deuant luy, & de mettre ses verges au feu. C’est là ta recompense
comme à vn reprouué.

Le Partisan.

Va, tu n’es pas mon iuge, ny ne sçais les iugemens de celuy dont tu
veux que la iustice soit si rigoureuse.

Le Demon.

Non, ie suis ton tesmoin, auec ta conscience, & celuy qui produira deuant

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Dieu le Registre du compte de tes crimes horribles, pris sur les memoires
escrits de ta main dans les receptes & despenses de tes Bureaux, &
qui seray bien-tost ton Bourreau, pour te faire voir en effet le pouuoir que
i’ay sur toy.

 

L’AVTHEVR.

A ces mots le Partisan saisi d’effroy, d’entendre que cette voix se
rendoit tousiours plus affreuse & estonnante, & peut-estre aussi de
quelque signe d’application de la main du Demon sur son collet,
touché en ce moment d’vn rayon de la diuine Bonté, eut recours à
elle, & se iettant à genoux, la face contre terre, prononça ces mots
tesmoins de son repentir, qui eurent l’efficace de chasser le Demon,
& faire sortir son ame hors de ce trouble.

ORAISON DV PARTISAN.

MON Dieu tout puissant & tout bon, de qui la mort m’a donné la
vie, ne permettez pas, ie vous prie, que ie la perde par les mains de
vostre ennemy : & bien que mon peché m’ait presque rendu semblable
à luy, & mis sous sa tyrannie ; ne laissez pas mon ame à l’abandon du desespoir,
dont il me tente, encore que ie l’aye trop merité ; chastiez-moy
de vostre main paternelle, & non de la sienne : ie vous en coniure par le merite
du sang dont vous m’auez vne fois racheté, par lequel i’espere que
vous détournerez de moy la vengeance d’vn Dieu courroucé, dont toute
esperance de salut est ostée. Temperez donc vostre iustice de vostre misericorde,
à laquelle ie demande ma grace pour la coulpe. Et dautant que
ie suis obligé de satisfaire à cette iustice pour la peine, i’accepte de bon
cœur, & auec soumission, tout ce qu’il luy plaira ordonner, soit perte de
biens, & supplice de peine & de mort temporelle, puisque de plus grands
& de moins criminels que moy l’en ont satisfaite : mais sauuez mon ame
de la mort spirituelle, & acceptez le repentir que i’offre à vostre bonté
comme son ouurage. Ainsi soit-il.

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