Anonyme [1649], LE PASSE PAR TOVT DV TEMPS, OV LA SOVRDE RENOMMĖE. , françaisRéférence RIM : M0_2729. Cote locale : A_6_76.
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LE PASSE
PAR TOVT
DV TEMPS,
OV
LA SOVRDE RENOMMĖE.

A PARIS,
Chez N. CHARLES, ruë Sainct Iacques,
aux trois Couronnes.

M. DC. XLIX.

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LE PASSE PAR TOVT DV TEMPS
OV LA SOVRDE RENOMMÉE

D’ALLER faire vn long preambule
en ce discours icy, De dire qu’vn homme
qui à la faueur ne reçoit aucune
difficulté dans les passages, & que le
nom de seruiteur du Roy le fait passer par tout
auec auantage : De dire aussi qu’vn autre qui aura
vn passe-port de sa Majesté est inuiolable, autant
que ses Courriers, & selon le droict, autant que
les loix, les portes, & les murailles d’vne Ville. Ce
n’est pas pourtant là le poinct où ie veux venir :
mais ie veux faire voir que le vray passe par-tout,
c’est le mot à l’oreille : Cette Renommée sourde
qui pourtant à l’auantage de surpasser la iustesse
de cette autre Renommée, Qui en vn moment
fend l’air & va porter les nouuelles dans les Contrées
les plus éloignées. Si autrefois on a sçeu dans
Rome au même iour & à même heure, la victoire
gagnée par les Romains, à tant de lieuës de
Rome, à qui pouuoit-on attribuer ce message, si
ce n’est à cette Deesse volante, qui vinst publier
par toute la Ville que c’estoit Castor & Pollux, qui

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deuoient seuls auoir l’honneur de la victoire. Ie
ne m’estonne point aussi si les Romains l’honoroient
comme Deesse, puisque comme ils estoient
auides d’honneur, ils deuoient esperer de la faueur
de cette Illustre Messagere, qu’elle porteroit
leurs noms & leurs exploicts, iusques aux extremitez
de la terre. Qu’est-ce qui a obligé tant d’Augustes
& de magnanimes Heros, à fouler au pied
les foiblesses de la vie, pour s’immortaliser par
vne glorieuse mort ? Qu’est-ce qui obligea cet Herostrate
à bruler autrefois le magnifique Temple
d’Hephese ? Qu’est-ce qui a obligé tant de Sages,
& Moraux Orateurs & Philosophes à faire éclater
leur Sagesse, l’integrité de leurs mœurs, & la perfection
de leurs sciences ? N’est-ce pas cette inuiolable
maistresse de l’air, qui leur faisoit esperer que
leurs noms ne passeroient pas le fleuue de Lethé,
comme leurs ames, & qu’elle graueroit leurs heroiques
actions dans l’immortalité, soit par les
Histoires, soit par les rapports authentiques de
leur posterité, les plus vieux en instruissent les
autres.

 

Mais ie reuiens à nostre sourde Messagere, &
quoy que l’autre ait tant dauantages, qu’elle puisse
même encore se vanter d’auoir donné des aisles
à Mercure pour aller porter ses nouuelles dans les
trois Empires. Ie veux faire voir, que celle-cy est
incomparablement plus necessaire, & qu’elle doit

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auoir aussi plus de gloire. La Renommée volante
ne fend l’air que pour faire part des nouuelles
qu’on veut que tout le monde sçache, & la sourde
n’entre dans l’oreille que pour luy faire sçauoir,
ce que l’on veut que personne ne sçache. L’vne
ne doit porter, & ne porte ordinairement que les
glorieux faits de quelque grand Personnage, &
l’autre porte non seulement à l’oreille les glorieux
faits d’vn Heros : mais encore elle porte toutes les
actions lasches & ridicules qu’vn infame peu faire.
L’vne n’est imbuë des nouuelles pour les diuulguer,
que lors que l’autre les a déja porté aux
oreilles par ses tacites & secretes practiques, & si
la premiere à l’auantage de s’étendre dans toutes
les oreilles, l’autre à l’auantage de n’estre pas si
vulgaire, & de ne s’estendre que dans les oreilles
les plus capables, les plus delicates, & les plus secretes.
Si les aisles de la premiere battent l’air, le
bruit tacite de la seconde ne semble faire tort à
personne, & n’incommoder aucun malade. L’vne
demande ordinairement de l’applaudissement,
des feux de joye, des couronnes & des triomphes :
L’autre ne demande que le secret, & ne se plaist
que dans le silence ; L’vne est quelquefois forcée,
l’autre est volontaire : l’vne est quelquefois ridicule,
l’autre est ordinairement veritable : L’vne
n’est presque bonne que pour les femmes, & pour
le menu peuple, l’autre ne demande que la prudence

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des hommes, & la maturité de leurs jugemens.
Il est donc tres-facile de voir par cette disproportion
les auantages de l’vne sur l’autre, &
comme la sourde l’emporte hautement sur la volante.

 

Mais faisons voir la necessité du mot à l’oreille,
& sur tout en ce temps icy, ou tout le monde semble
auoir besoin de ses secrettes menées. Si ie le
cherche dans la Cour, ie trouueray que c’est là son
plus grand Regne, puisque la pluspart y craignent
le Reuers, soit de ceux qui dispensent en quelque
façon, ou qui peuuent receuoir des biens de la
fortune ; tous y gardent vn Respectueux silence,
& si l’on a quelque particulier sentiment, ou que
l’on ait veu quelque chose, on se défie mesme de
ses yeux & de sa bouche, croyant qu’ils ne pourront
pas garder le secret assez fidelement. C’est là
que si quelqu’vn ne doute point de la sincerité
d’vn amy, ils cherchent des lieux retirez, pour faire
valoir dignement le mot à l’oreille, voyant
qu’on interdit même les enfans de se parler hautement
ensemble. Voila le premier Regne de nostre
sourde Messagere, voyons son seconde.

Ie le veux faire voir dans Paris, ou certainemẽt
regne auec la deffiance, comme auec la mere de la
seureté. On n’ose pas dire librement ce que l’on
pense, quoy que les moins judicieux le diuulguent
hautement par les ruës. On sçait bien la

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sincerité des vns & les mauuaises volontez des autres,
pourtant dans la crainte d’vne reuolution,
d’vn changement, les plus censées couuent secrement
leurs pensées, & laissent aller le tout à la disposition
de la fortune, dont ils recognoissent le
premier moteur celuy qui dispose des Tonnerres
& des foudres, comme l’arbitre souuerain du Ciel
& de la terre. C’est pour lors que ces personnes judicieuses
laissent voler nostre premiere Renommée,
donnent de l’employ à la seconde ; qui gagnoit
insensiblement les oreilles lors que le bruit
de l’autre est inutile. Ceux mesme qui ont le plus
d’interest dans la reuolution de la fortune, sont
rauis quand ils peuuent confier à la fidelité de
quelque amy leurs plus secrettes pensées, croyans
en cela abbaisser leur seuerité, & alleger leur conscience.
Et moy ie suis rauy quand j’écris, de ne
choquer personne, afin de n’estre repris apres de
personne.

 

FIN.

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