Anonyme [1652], LE PLAIDOYÉ DE LA MAISON ROYALLE, OV LA CAVSE D’ESTAT, montrant comme il faut borner I. Les interests des Princes du Sang. II. Les interests des Princes Estrangers. III. Les interests des Mareschaux de France. IV. Et les interests des autres grands de l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2773. Cote locale : B_3_15.
Section précédent(e)

LE
PLAIDOYÉ
DE LA
MAISON ROYALLE,
OV
LA CAVSE D’ESTAT,
montrant comme il faut borner

I. Les interests des Princes du Sang.

II. Les interests des Princes Estrangers.

III. Les interests des Mareschaux de France.

IV. Et les interests des autres grands de l’Estat.

A PARIS,

M. DC. LII.

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LE PLAIDOYÉ DE
la Maison Royalle, ou la
cause d’Estat,

Les Estats ne tombent jamais dans le
déreglement, que lors que les crimes
sont dans l’impunité ; & que les siecles
peuuent flatter leur brutalité d’vne esperance
de pardon, pour s’animer d’autant
plus viuement à l’execution de
touter leurs plus meschantes entreprises, que plus ils
sont asseurez par l’experience du déreglement, que
la vengeance des Loix n’en est point à craindre.

Le crime n’est iamais redoutable, que quand il
regne ; il ne regne jamais, que lors qu’il n’apprehende
point la punition, & que se voyant au dessus de
cette crainte, qui seulle peut brider ses emportemens,
il n’est plus en estat de pouuoir estre moderé que par
son impuissance. La force du crime, & la rigueur
des Loix sont incompatibles : si celles-cy ne se relaschent
point par l’indulgence de ceux qui sont commis
à les faire valoir ; il faut necessairement que l’autre
se tienne tousiours dans le deuoir, ou qu’il se resolue

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du moins à la honte de seruir d’exemple, lors
qu’il manquera de respect pour se soumettre.

 

Les desolations publiques n’ont jamais esté les punitions
des crimes particuliers : Et le Ciel n’a iamais
affecté de signaler l’horreur de ses vengeances, que
dans le chastiment des impunitez : Lors que Dieu
desola toute la Tribu de Benjamin, l’Histoire Saincte
rapporte, qu’il n’en eut point d’autre motif, que
celuy de l’impunité d’vn violoment commis par vn
simple Soldat : Et cette seulle indulgence des Magistrats
fut capable de mettre les foudres entre les
mains de la Iustice de Dieu, pour les luy faire lancer
sur tous les descendans du mignon d’Israël.

On sçait bien que nos passions ont esté tellement
déreglées par la premiere desobeyssance de celuy en
qui nous auons tous peché, qu’à moins que de les
violenter par vne continuelle force d’esprit, il n’est
pas possible de les retenir tousiours dans la defference
qu’ils doiuent à ses ordres : Et que la pante que
nous auons vers le crime est si glissante, qu’il faut
necessairement que nos reflections nous opposent la
terreur des Loix, pour nous empescher de faire aucun
faux pas, ou pour nous obliger de nous tenir constamment
debout.

C’est pourquoy les Loix n’ont point laissé de crime
qu’ils n’ayent estonné par la crainte d’vne punition :
Il n’y a que le Parricide qui parut autrefois si
desraisonnable à ce Sage Legislateur de Lacedemone,
qu’il ne crut point estre obligé de luy préscrire

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aucun chastiment, sur la creance qu’il eut, qu’il ne
seroit point d’insolent qui fut assez effronté pour
ozer attenter à la vie de celuy qui la luy auroit donnée :
Mais Marc-Anthoine l’Orateur inuectiuant
contre vn parricide de son temps, remarque sagement,
que Licurgue auoit tesmoigné par cette reflection,
qu’il laissoit le chastiment de ce crime à la discretion
de ceux qui le verroient commettre, & qu’il
sembloit iuger qu’on ne pouuoit ordonner de supplice
qui fut conforme à l’impudence d’vn semblable
attentat, à moins qu’on ne fut inspiré par vne indignation
presente d’en auoir esté le tesmoin.

 

Ie dis neantmoins que parmy les crimes, ceux qui
choquent l’Estat, sont les plus effroyables ; & qu’il
semble que les scelerats qui sont assez impudents
pour s’emporter jusqu’à cet excez, s’exposent en
mesme temps à la rigueur de tous les supplices, puis
que par ces crimes d’Estat qui sont les mal-heureux
abregez de tous les autres, ils semblent faire marchepied
de toutes les loix ; & qu’en attentant de choquer
par ces entreprises generalles le melodieux concert
du commerce de la vie ciuille, ils ne sont coupables
que d’autant de crimes qu’il y a de particuliers, dont
le corps de l’Estat est composé.

Ainsi ie pense que si les impunitez des crimes particuliers
sont dangereuses, elles sont d’vne tres-pernicieuse
consequence pour les crimes d’Estat ; & qu’il
est entierement necessaire que les loix soient vn peu
rigoureuses en ce poinct, pour ne permettre iamais

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que cette tragique disposition de tous les plus horribles
desreglements puisse aucunement empieter sur
leur authorité.

 

I. Ne perdons pas tant de temps à l’amplification
d’vn prelude, mais entrons vn peu plus serieusement
dans l’examen des crimes d’Estat ; & faisons voir,
premierement, que tous les affronts qu’on fait aux
Princes du Sang retombent par reflexion sur la personne
du Roy ; pour monstrer en suitte que ces mesmes
affronts sont des attentats, ou des crimes d’Estat.

Comme la Royauté n’est point despotique, c’est
à dire, tyrannique ou desraisonnable parmy les François,
il ne faut point douter qu’elle est d’autant plus
esclatante que plus elle est enuironnée de Princes du
Sang, & que sa principale gloire consiste à voir
beaucoup d’Illustres dans sa Naissance qui puissent
estre capables de recueillir la succession de la Souueraineté,
supposé qu’il fust necessaire de la transporter
à quelque branche de la Maison Royalle, lors
que la souche viendroit à manquer, comme il ne
se peut que trop facilement dans les reuolutions de
l’Estat.

Il n’en est pas de mesme de la Souueraineté Françoise
que de la Turcque ou de l’Espagnole, celle-là,
comme elle est entierement tyrannique, debute par
le fratricide ; Et pour vn premier coup d’essay de son
pouuoir absolu, teint son escarlatte Royalle du Sang
des plus proches, qui sont en quelque façon capables

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de faire ombre à son authorité. Celle-cy, comme
elle est moins cruelle, quoy qu’elle soit en quelque
façon aussi despotique, n’est pas toutesfois si
sanguinaire ; Pour les parens & les plus proches, elle
s’en deffait le mieux qu’elle peut, soit en les engageant
dans le Sacerdoce, soit en les faisant attacher
à des employs sacrez par les veux de la Religion,
pour estouffer, ou du moins pour rendre inutiles tous
les sentiments que l’ambition leur pourroit inspirer
sur les esperances de la Royauté ; & ne conserue
auprés de soy que les fils naturels, ausquels mesme
elle communique bien souuent le pouuoir le plus
absolu, parce qu’elle voit bien que la qualité de bastard
les exclut de l’esperance de la succession, &
qu’ils connoissent fort bien que toute leur grandeur
consiste à se tenir dans vne soumission parfaicte
à tous les ordres de leur Souuerain.

 

Les Loix de France estant moins despotiques, &
par consequent plus raisonnables, font entrer tous les
Princes du Sang dans le conseil de tous les desseins
de la Souueraineté ; ne permettant point qu’on
puisse traitter d’aucune affaire d’Estat dans leur participation,
laquelle est si necessaire pour le gouuernement
pacifique de cette Monarchie, que les Alliances
& les Traittez qui pourroient estre conclus
sans leur adueu, seroient entierement inualides : Et
cette verité qui ne peut estre choquée en France,
que par les ennemis de nos Loix, & par les fauteurs

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de la tyrannie, conclut manifestement que la Royauté
se trouue dautant plus fermement cimentée, que
plus elle a de Princes du Sang, qui sont comme les
appuis de son Trône, & les veritables rampars de
son authorité.

 

Si cette presupposition est veritable, comme il
n’est point d’homme de sens qui puisse la contredire,
ne puis je pas asseurer auec toute sorte de raison,
que tous les affronts qu’on fait aux Princes du Sang,
sont des crimes d’Estat, & retombent par reflection
sur la personne du Roy : Voyla comme ie raisonne ; &
comme ie raisonne sans peur d’estre contredit par aucun
raisonnable : Lors qu’on choque vn Roy, on n’encourt
le crime d’Estat, que parce qu’on s’en prend à
celuy, que tout l’Estat considere, comme le depositaire
de l’authorité Souueraine, lequel ne pouuant
estre le dispensateur absolu de la Iustice, & l’arbitre
Souuerain de tous les differents que les querelles peuuent
faire naistre dans le commerce de la vie ciuile, à
moins qu’il ne soit maintenu dans l’independance
par le respect, & par la soumission volontaire de tous
ses peuples ; Engage par consequent tout l’Estat à la
vengeance des attentats, qu’on peut entreprendre
contre sa personne ; par le mesme motif que l’Estat
a de le reconnoistre, pour en exiger justice.

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Cette consideration, que l’Estat ne peut exiger
ny mesme esperer iustice de son Souuerain, à moins
que le Souuerain ne soit en pouuoir de la luy rendre
par le moyen de la soumission qu’il rencontrera
dans la dependance de tous ses sujets ; fair, que l’Estat
est obligé de prendre à partie tous ceux qui seront
assez insolens pour attenter à ce Souuerain, par ce
que la raison qui luy fait esperer iustice de l’exercice
de son authorité, la mesme, l’oblige à la luy maintenir
inuiolable, pour estre en droit de la pouuoir exiger :
Et puis qu’il n’est point de moyen de maintenir
cette authorité souueraine inuiolable entre les
mains d’vn Monarque, à moins qu’on ne le rende
redoutable à tous ceux qui pourroient attenter aux
Loix, il faut donc necessairement que l’Estat s’interesse
à la vengeance de tout ce qui le pourroit offencer :
cela est sans replique.

Il s’ensuit de ce raisonnement ce me semble, que
toutes les entreprises qui sont capables de porter
quelque empechement à l’exercice de l’authorité
Souueraine, ou d’en eneruer en aucune façon la
vigueur, sont des crimes d’Estat, par ce que l’Estat
est obligé de s’en ressentir par le seul motif d’vne
vengeance publique ; & par ce que le Roy se trouue
le dispensateur de cette authorité souueraine, il s’ensuit
manistement que tous ceux qui attentent à sa
personne sont directement criminels d’Estat :
poussons encor plus auant.

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Nous auons desia dit que, comme l’authorité
souueraine dans les personnes de nos Roys, n’est pas
despotique ou tirannique, elle se communique essentiellement
à ses Princes du Sang, & veut que ces proches
de la Majesté soient appellez à la participation
de tous les affaires qui sont sous sa dependance, auec
vne necessite si indispensable, qu’elle empieteroit
sans doute vn pouuoir qui nous seroit inconnu, si
toutefois elle affectoit de frustrer les Princes du Sang
du droit legitime qu’ils ont, d’auoir leur part dans la
resolution de toutes les affaires d’Estat.

Si cette reflection est veritable comme elle est sans
contradiction ; ie puis asseurer auec la méme creance,
que tous les affronts qu’on fait à des Princes du
Sang, sont des crimes d’Estat ; voicy mon raisonnement :
puis que les crimes, ne sont crimes d’Estat,
que par ce que ceux qui les commettent, oublient le
respect qu’ils doiuent à la Majesté du Souuerain,
qui ne peut estre en estat de rendre iustice que pendant
que les Subjets se tiendront dans la deference
qu’ils doiuent à ses ordres ; N’est il pas trop manifeste,
qu’on ne peut offencer les Princes du Sang,
sans tomber dans vn crime d’Estat, puis que leur participation
est essentielle dans l’exercice de l’authorité
Souueraine ; & qu’il ne se peut par cette raison
que cette méme authorité ne souffre de tres dangereuses
atteintes, lors qu’elle se trouue choquée dans
les sacrées personnes de ceux, dont la participation

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est absolument necessaire pour la iustification de
son exercice.

 

Ie ne veux cependant point soustenir que la Maiesté
se trouue directement offencée, dans ces attentats
qu’on fait à la dignité des Princes du Sang : ie sçay,
en suitte méme de mon raisonnement, que ces affronts
ne tombent sur les personnes des Roys que par
reflection, ou par contrecoup ; & que quand les
Princes du Sang sont attaquez, les Roys ne peuuent
pas dire qu’on s’en prend à eux directement, mais
indirectement, puis qu’ils sont leurs proches & comme
les assesseurs essentiels à l’exercice de l’authorité
Souueraine ; & que pour cette raison on ne porte les
mains sur leurs personnes que par ce qu’on sçait bien
que tous les coups se reflechiront sur la Maiesté.

Lors que Dieu est attaquée par l’Athée ou par le
blasphemateur, c’est la Maiesté diuine qui s’en trouue
directement offencée ; & qui ne reçoit point ces
traits d’impudence, comme des contrecoups reflechis
sur son authorité ; mais comme des attentats
insolemment premeditées, & comme des coups assenez
contre luy auec toute sorte de reflection.

Le méme ne se rencontre point dans les attentats
de l’Adultere ou du Sodomite : Les coups en tombent
directement sur le prochain ; & comme le prochain
porte l’image de Dieu empreinte sur son
front, ces affronts faits à l’image se reflechissent d’abord
sur son prototype ; &s Dieu, ce semble ne reçoit

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que par contrecoup, ce qui neantmoins choque
directement le prochain, par ce que c’st à luy que
l’insolence vise pour luy en faire l’affront.

 

Il est vray neantmoins, que Dieu s’interesse également
en la vengeance de l’adultere ou du blaspheme,
quoy qu’il en soit diuersement offencée ; & qu’il
ne se ressent pas moins des iniures dont il reçoit l’affront
par contrecoup, que de celles qui s’en prennent
directement à sa Maiesté, ainsi les vnes & les autres
portent égallement le titre effroyable d’offence
de Dieu, & l’adultere n’est pas moins suiet au foudre
que le blaspheme ou l’Atheisme.

Si nous vovlons appliquer la comparaison, ou les
plus scrupuleux Logiciens ne trouueront point de
disparité : Nous verrons, que les affronts faits aux
Roys immediatement, sont comme les insolences
des Blasphemateurs & des Athées, qui s’en prennent
directement à Dieu ; & que comme l’iniure faite au
prochain retombe par reflection sur la Maiesté de
Dieu, comme sur le Prototype dont le prochain est
l’image ; de méme nos Souuerains reçoiuent par la
necessité d’vn contrecoup ineuitable, toutes les iniures
qui sont faites aux Princes de leur Sang, qui
sont les plus viuantes images de leur Maiesté, &
n’ont pas moins de suiet de s’offencer de l’affront qui
leur en reuient, que s’il s’attaquoit directement à
leurs sacrées personnes.

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Ainsi par la suitte d’vne mesme comparaison
comme Dieu ne s’interesse pas moins à la vengeance
des Adulteres, qu’a celle des blasphemateurs, quoy
que l’affront neamoins ne luy en reuiẽne que par des
voyes inesgales, directemẽt par le blaspheme, & indirectemẽt
par l’adultere : De mesme les Souuerains ou
les Estats en leur place ne sont pas moins obligés de
se ressentir des attentats qu’on fait aux Princes du
Sang, que de ceux qu’on fait aux Monarques, par ce
que l’authorité Souueraine ne se trouue pas moins
attaquée dans les premiers que dans les seconds ; Et
qu’il est aussi dangereux d’en laisser les affronts dans
l’impunité, lors qu’ils sont faits aux Princes du Sang,
que lors qu’ils sont faits au Souuerain.

I’emprunte cette reflection de l’authorité de Philippe
Auguste, lequel voulant s’interesser dans la
vengeance d’vne parolle outrageuse, ditte à Phillppe
Conte de Clermont & de Bouloigne son nepueu, par
vn certain Foulques Gentilhomme Angeuin, Partisan
de Pierre Conte de Bretaigne, son ennemy ; tesmoigna
hautement à l’assemblée des François, conuoquée
pour cét effet, & qu’il appela Parlement en cette
occasion ; qu’il estoit à propos de venger plus exemplairement
cét affront, fait à vn de ses Princes, que
s’il eut esté fait à sa Majesté ; parce que l’impunité
d’vn crime fait à la personne du Roy directement
pourroit du moins estre attribuée à sa bonté ; Au lieu
qu’on auroit toutes les raisons de croire que l’authorité

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Souueraine seroit dans vne extreme impuissance,
lors qu’au lieu de se ressentir viuement d’vn affront
fait à quelqu’vn de ses Princes du Sang, elle
en suprimeroit neamoins les ressentimens, par vne
indulgence qui derogeroit à son authorité. Quoy
qu’il en soit, cette illustre Assemblée esmeuë pat les
motifs de cet Auguste, & esclairée par ses propres lumieres,
debuta soubs le titre de Parlement, qu’elle
porte auiourd’huy, par la condemnation de ces Foulques,
qu’elle fit decapiter par main de Bourreau.

 

Et certainement à bien considerer cette reflection
de Philippe Auguste, il semble que les Estats sont
obligés d’estre plus inflexibles à la vengeance des
afronts qu’on fait aux princes du Sang, que de ceux
mesmes qu’on fait aux Souuerains ; Non pas que ces
derniers ne soit en effet plus noirs & plus insolents :
Mais parce qu’aparemment les premiers sont d’vne
plus dangereuse consequence ; En ce qu’il est à presumer,
que ceux qui s’attaquent à la Maiesté immediatement
sont des desesperez, ou des fols ; & par
consequent leur impudence, quand bien on la laisseroit
impunie, ne sembleroit point estre en estat de
pouuoir entrainer aucune dangereuse suite, parce
qu’elle n’auroit pour tout principe que le desespoir,
qui ne s’imite iamais par reflection, ou qu’on ne suit
iamais par imitation : au lieu qu’on peut dire de ceux
qui ne s’en prennent qu’aux princes du Sang, que,
quoy qu’ils n’ataquent la Maiesté que pour la choquer

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par contrecoup, ils l’ataquent neamoins par
vne malice qui n’est point desesperée, & qu’ils semblent
se vouloir frayer le chemin à ce dernier, s’ils
trouuent de l’impunité dans ce premier attentat.
Ainsi l’impudence en choquant les Princes, veut faire
comme vn premier essay de ses forces, & reconnoistre
la foiblesse de la Maiesté pour l’attaquer à son
temps, par la foiblesse qu’elle remarquera dans la punition
des attantats qu’elle aura fait à l’honneur de
ceux qui en portent le plus beau charactere, empreint
sur l’illustre qualité de Princes du Sang.

 

Il est vray que l’Athée s’en prend à Dieu directement,
mais comme c’est vn Criminel qui ne
trouue point d’imitateurs que parmy les fols, dixit
iusipiens in corde suo non est Deus, ils ne sont pas
si souuent punis exemplairement dans l’Escriture
Saincte, que les Adulteres ou les detracteurs : Et
c’est par cette moderation que Dieu semble tesmoigner,
qu’il ne veut point perdre ses vengeances
exemplaires à la punition de ceux qui ne seront
point en estat d’y faire aucune reflection ;
Mais pour ceux qui n’attaquent sa Maiesté diuine
que par contrecoup, c’est à dire par la reflection
du coup qui se refleschit de son image sur elle,
nous en voyons si souuent les chastiments exemplaires
dans l’histoire Sainte, que nous pouuons fort
raisonnablement conclure qu’il est de plus dangereuse
consequence de s’attaquer à l’image qu’à son
original, par ce que l’impudence comme elle en est

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despererée, se fait par consequent auec plus de connoissance
& de reflection ; & peut par mesme raison
estre capable de trainer quelque plus dangereuse fuite,
que celle qui se porte immediatement contre le
Souuerain ; laquelle partant d’vn principe desesperé
n’est par consequent point en estat de pouuoir estre
pratiquée par imitation : Cella veut dire que les affronts,
qu’on fait aux Princes du Sang, flestrissent
par vn contrecoup ineuitable la Maiesté de leur Souuerain,
& que pour cette raison mesme que les Souuerains
ne sont attaqués qu’indirectement dans les
personnes sacrées de leurs Princes, il est de la justice
de l’Estat, quelle s’en ressente auec autant ou
plus de vigueur, que si le Souuerain mesme estoit
directement offensé.

 

I’emprunte cette reflection de la Politique de S.
Louïs, lequel ne peut jamais consentir à laisser dans
l’impunité, vn dementir donné à Tibaut Conte de
Champaigne son Cousin, par Hugues Conte de la
Marche son allié, quelque instance mesme qui luy en
fut faite par tous les plus proches ; Adioustant qu’il
ne se fut pas monstré si inflexible, si l’affront eut choqué
directement sa Maiesté, par ce que la generosité
eut peut estre desarmé tous ses plus iustes ressentimẽs :
Mais que l’affront estant fait à vn Prince du Sang, il
estoit obligé ou de quitter le titre de Roy, ou d’en
poursuiure viuement la reparation, parce que son authorité
ne s’y trouuoit interessée que par contrecoup.

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On ne peut attaquer les Roys de la Chine que
dans leur image, parce qu’on ne les voit que fort
rarement ; ou si leur Histoire est veritable, de cinq
en cinq ans ; encor paroissent-ils en public auec tant
de reserue & enuironnés de tant d’éclat & de pompe
qu’ils ne sont iamais accessibles qu’aux seuls regards
de leurs subjets, lesquels sont obligez de venir
faire la Cour à leur image releuée en bosse dans
la grande salle du Palais, auec le mesme attache
ment que nos Courtisans d’aujourd’huy sont obligez
de rendre leurs deuoirs à sa Majesté : Tellement
que les seuls manquemens de respect commis deuant
cette image Royale, sont des crimes d’Estat ;
Massée rapporte qu’vn Gouuerneur de Prouince
fut vn iour decapité, parce qu’on crùt qu’estant entré
dans la salle sans se découurir en suite d’vn mescontentement
qu’il venoit fraischement de receuoir,
ce manquement venoit du mespris qu’il faisoit
de se tenir dans le respect en presence de l’image
de son Souuerain, en vengeance du mauuais traitement
qu’il pretendoit en auoir reçeu.

Si ces Souuerains font respecter leurs images
auec tant de seuerité, qu’vn manquement mesme
de respect y passe pour vn crime d’Estat, il me semble
que les affronts faits à nos Princes du Sang, qui
sont les images viuantes de sa Maiesté, ne doiuent
point estre traitez par l’Estat auec plus d’indulgente ;
& qu’on en doit poursuiure la reparation auec
d’autant plus de vigueur, que plus il est euident que

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l’authorité Royale s’y trouue interessée, par l’esperance
que les insolẽs auront de la pouuoir attaquer
impunement, lors qu’ils la verront si lasche à la vengeance
des iniures qui retourbent sur elle par reflection.

 

II. Apres auoir connu l’importance qu’il y a de ne
laisser point dans l’impunité vn crime d’Estat commis
en la personne sacrée d’vn Prince du sang ; Il est
à propos de faire voir la matiere de l’action qui peut
estre capable de receuair la forme ou la qualité de
crime d’Estat : Resonnons vn peu mon Lecteur,
pour retomber puis apres auec plus de plaisir dans
les agreemens de l’Histoire.

Puis que les entreprises faites contre les Princes
du sang, ne passent pour des crimes d’estat, que parce
que leur participation est necessaire dans toutes
les resolutions des affaires de la Souueraineté, &
que pour cette raison ces mesmes attentats retombent
par reflection sur la personne du Roy, qui en
est le depositaire independant & absolu ; Il s’ensuit
par vne consequence necessaire, que tout ce qui seroit
vn crime d’Estat dans la personne de sa Maiesté
lors qu’elle se trouueroit directement choquée, reçoit
la mesme denomination d’attentat ou de crime
d’Estat, lors que sa Maiesté n’en reçoit l’affront que
par contrecoup, ou par reflection de ceux qui sont
ses Princes du sang.

Cette suitte ne sera point desaprouuée de ceux
qui voudront considerer, que Puis que cette reflection

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de Souueraineté, donne la qualité de crime
d’Estat, à toutes les entreprises qu’on fait
contre les Princes du sang ; il faut donc que
toutes les actions qui offencent le Roy lors
qu’elles s’en prennent directement à luy, l’offencent
par mesme raison lors qu’elles interressent
l’honneur de ses Princes du sang, qui sont les
intelligences legitimes dont la participation est essentielle
dans l’exercice de la Souueraineté ; & par
consequent ie puis & ie dois soustenir, que les mesmes
fautes qui reçoiuent la qualité de crime d’Estat,
lors qu’elles sont commises contre le Roy,
sont des honnorées d’vn semblable titre, lors quel
les sont faites contre des Princes du Sang quoy
qu’auec disproportion, parce qu’on ne peut pas
nier que l’enormité du crime ne soit plus noir lors
qu’il attaque directement le Roy, que lors qu’il ne
l’attaque que par reflection.

 

Qu’est-il maintenant necessaire pour faire vn
crime d’Estat, en offençant vn Roy ? faut il des attentats
manifestes à son authorité ? faut il des entre
prises secretement brassées contre le repos de ses
peuples ? faut-il des impudences de Clement ou de
Rauaillac ? C’est trop, il faudroit auoir vn terme plus
horrible que celuy-là, pour les énoncer auec vne
expression égale à leur brutalité : Les manquemens
de respect, les paroles peu respectueuses & dites
auec quelque sorte d’emportement ou de menace,
sont assez capables de seruir de matiere à ces attentats

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ou crimes d’Estat ; & quiconque est assez insolent
pour s’échaper iusqu’à ce point en la presence
de son Souuerain, doit s’asseurer qu’on le traittera
bien auec douceur, si toutefois on ne le punit point
en criminel d’Estat.

 

Par ce mesme raisonnement, ie conclus que les
paroles peu respectueuses ou dites auec quelque
forte d’emportement ou de menace à vn Prince du
Sang sont criminelles d’Estat, puis que l’affront en
rejalit tout entier sur la personne du Roy ; & que la
satisfaction en doit estre également exigée, quoy
qu’auec quelque disproportion de rigueur, si toutefois
on veut que l’indifference ne marque pas le
peu de respect qu’on a pour la conseruation de la
Maiesté, qui ne peut estre plus dangereusement attaquée,
que lors qu’on l’attaque impunemeur dans
les personnes sacrées de ses Princes.

Ie sçay bien qu’on ne manquera pas de m’opposer
la response que Louys XII. fit en faueur de ceux
qui l’auoient trauerse pendant qu’il n’estoit que
Duc d’Orleans, que le Roy de France ne vengeoit point
les querelles du Duc d’Orleans : Mais ie dis auec d’Auila,
que ce Prince affecta sagement d’estre insensible à
ses propres interests, mesme lors qu’il fut en estat
de les pouuoir venger hautement, parce que la vengeance
dans cette conioncture, eust marqué vne
passion nourrie & fomentée de longue main, &
qu’il sembloit estre obligé par tous les principes de
la generosité, de ne se ressentir pas des affronts ausquels

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tout l’Estat qui seul en deuoit prendre connoissance
auoit neanmoins esté insensible, pendant qu’il
en pouuoit & qu’il en deuoit faire des crimes d’Estat.

 

Au reste il fit bien voir puis apres par l’experience de
sa politique, que l’Estat auoit eu grand tort de ne se
ressentir point des afronts qu’il auoit receu pendant
qu’il n’estoit que Duc d’Orleans ; lors que pour vanger
les interests de Charles Duc de Vandosme premier
Prince du Sang, qu’vn simple Seigneur auoit tacitement
traité de lache des les Estats Generaux d’Orleans,
il protesta hautement à cette Illustre Assemblée, qu’il
s’estimoit plus offẽcé de ce trait d’impudẽce, que si cét
insolent Seigneur (dont i’espargne le nom parce qu’il
à des descendants) s’en fut pris directement à sa Maiesté ;
& qu’il entendoit absolument que la satisfaction
en fut pour suiuie auec autant de rigueur, que si l’affront
en eut esté fait à luy mesme. On se contenta neamoins
pour toute punition de le chasser des Estats, apres luy
auoir fait faire amende honorable ; & cette iuste seuerité
de Louys XII. condamna hautement l’iniustice de
ceux qui ne l’auoient point vangé pendant qu’il estoit
Duc d’Orleans ; & fit voir que les interests des Princes
du Sang doiuent en quelque façon estre balancés également
auec ceux de sa Maiesté.

Mais que peut-on repartir à la poursuite qu’Alexandre
le Grand fit autrefois pour venger les interests de

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son Fauory Hephestion ; lors qu’estant sur le point de
faire passer par les armes vn pauure soldat qui auoit refusé
de salüer ce Mignon en passant, il ne peut iamais
estre flechy dans ce dessein qu’il auoit iusqu’à ce que ce
soldat se fut auisé de le suplier de ne faire point mourir
Alexandre, car c’estoit son nom Hephestion esmeu par
le nom qu’il respectoit mesme en la personne d’vn
soldat insolent, suplia son maistre de ne donner point
vn mauuais presage au succés de ses armes, par la punition
de celuy qui portoit vn mesme nom que luy :
Et cette suplication acompagnée de ce motif fut si
puissante dans l’esprit de cet inuincible conquerant.
qu’apres en auoir exigé vne amende honorable qu’il
voulut receuoir luy mesme à cause du nom ; il commanda
à ce soldat insolent ou de quitter le nom qu’il
portoit ou de s’en rendre plus digne, vel depone nomen
vel te redde dignum nomine.

 

Que doit on conclure de tant d’antecedents inuincibles,
si ce n’est qu’il faut peu de chose pour offencer
criminellement vn Prince du Sang ; & que les parolles
peu respecteuses & dites auec quelque emportement
de colere ou de manace, peuuent bien ou doiuent passer
pour des crimes d’Estat, puis que nos Roys mesmes
les plus iustes ont donné cette qualité à des interpretations
odieuses ; & que le manquement d’vn coup de
chapeau pour salüer vn Fauory, a esté censé par le plus

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illustre Roy de la terre parmy les crimes d’Estat : Ce
raisonnement n’est pas beaucoup fauorable à l’affaire
du Conte de Rieux.

 

III. Ie m’en vay neamoins encherir par dessus en
faisans voir qu’il ne peut point estre d’offence legere
lors quelle est commise auec reflection contre vn Prince
du Sang.

Lors que certains Casuistes traitent des matieres de
la chasteté, ils soustiennent qu’on ne peut pas offencer
veniellement en ce point ; & que tous les pechez qui
se commettent contre la pureté de ceste aimable vertu
sont mortels, les raisons dont ils pretendent authoriser
leur sentiment, sont empruntez principalement de ce
qu’ils disent, que la nettete ou la candeur de cette
vertu angelique est si espurée de toute sorte d’immondice,
que la moindre tache, quelque peetite qu’elle
soit, y est neanmoins notablement remarquable, ils
adioustent que le panchant du vice de l’impureté est si
lubrique, qu’il n’est pas possible d’y faire vn faux pas,
sans tomber tout de son long : le passage de lob, Pepigi
fœdus cum oculis meis vt ne cogitarem quidem de virgine, les
fortifie dans cette creance : Car si pour blesser le cœur,
il ne faut que donner le passage libre par les yeux à vne
pensée qui se glisse auec vn trait de beauté, peut-on
douter que le cœur qui est le principe de la vie, puisse
iamais receuoir aucune blessure qui ne soit mortelle :
Mais ne faisons pas le Casuiste reprenons nostre politique,

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par le parallelle de ce sentiment.

 

Il ne faut point douter que la Maiesté est au sujet,
ce que la pureté est à l’homme chaste, & que i’ay beaucoup
plus de raison d’asseurer qu’on n’offence iamais
legerement les Roys, du moins lors qu’on les offence
auec reflection, le sçay bien que le braue Ariston courtisan
de l’Empereur Basile offensa son maistre au trauers
du sanglier qu’il auoit percé d’vn coup de fleche
pour le garantir promptement : Mais ce coup ne partoit
pas d’vn principe de reflection ; & l’Empereur qui
le receut ne s’en tint point offencé, parce qu’il ne l’auoit
receu que de la passion innocente de son courtisan,
qui l’auoit voulu sauuer lors mesme qu’aparemment
il auoit risque sa perte.

Il n’en est pas de mesme des offences, quelques
peu considerables qu’elles semblent, qui se font auec
vne entiere reflection, contre vn souuerain ou contre
vn de ses Princes du Sang : parce que dans ces matieres
là, le degré de l’enormité du crime ne se prend pas de
ce qu’on a fait : mais de ce qu’on a cru faire ; & c’est cette
reflection d’vne malice premeditée, qui ne permet
point qu’on trouue iamais aucune legereté, dans les
mauuaises actions qui se font par ce mauuais principe,
contre les Roys ou contre leurs Princes du Sang : on
peut bien parler : mais ie pense qu’on ne peut point
repartir à ce raisonnement, auec aucune sorte de probabilité.

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Ne nous contentons pas d’auoir effleuré ce raisonnement :
mais poussons plus auant & disons, que
toutes les fautes qui partent d’vn principe de reflection,
& qui ne peuuent point se mettre à l’abry du
reproche sous l’excuse de l’imprudence, marquent
infailliblement vne passion secrete d’éclater en des
effets plus auantageux, s’il arriue par l’indulgence
de ceux qui sont offencez, que l’impunité leur puisse
seruir de preiugé pour l’esperance d’vn semblable
bonheur : Ainsi ce n’est pas sans raison queie soutiens
que toute sorte de manquement commis contre vn
Roy ou vn Prince du Sang auec reflection, quelque
leger qu’il semble, est neanmoins de tres pernicieuse
consequence ; & qu’il est absolument necessaire
pour le bon-heur de l’Estat qu’vne satisfaction s’en
ensuiue, affin que l’impunité ne puisse du moins
point seruir de planche à de semblables attentats.

Que les ennemys de ce raisonnement, ne pretendent
point le destruire, par les pechez veniels qu’on
peut bien commettre contre Dieu, méme par vne
malice de reflection : s’ils entendent les cas de conscience
ils sçauent bien que ces pechez que nous apellons
veniels, ne le sont neanmoins qu’à nostre egard
& par la pure indulgence de Dieu qui relache par
bonté du droit qu’il auroit de nous traiter criminellement
dans ces petites rencontres, par ce qu’il voit
bien que nostre foiblesse nous en rend les chutes ineuitables,
puis que comme il assure luy méme le iuste

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méme tombe sept fois le iour.

 

Dieu est maistre, & peut nous ranger quand il luy
plaira : mais les Roys de la terre sont méme obligés
auec iustice de ne se comporter point auec cette indulgence ;
& comme nous sommes sujets à nous preualoir
des moindres aduantages que nous trouuons
dans l’impunité de nos crimes, mais principalement
lors que l’authorité Souueraine relache du droit qu’elle
a de s’en ressentir ; les Souuerains se font tort &
en font à méme temps à tout l’Estat ; s’ils n’entrent
viuement dans les sentiments de vengeance de tout
ce qui peut en aucune façon fletrir l’éclat de leur authorité
la quelle ne peut souffrir aucune atteinte qui
ne soit tres dangereuse, à moins qu’elle ne prouiene
d’vn principe d’imprudence. Ie confonds les interets
des Roys & des Princes de leur Sang, par ce que dans
mon raisonnement & dans le sentiment de tout le
monde ils sont inseparables : ce discours ne iustifie
pas beaucoup ceux qui portent les mains, & qui mettent
la main à l’épée contre les Princes du Sang, puis
que des fautes qui seroient infiniment plus legeres,
les rendroient neantmoins criminels d’Estat.

IV. Il est vray toutefois que parmy ceux qui perdent
le respect que tout le monde également doit à la
maison Royale, ie croy que toutes les raisons de la politique
concluënt qu’il est plus à propos de vanger les
attentats lors qu’ils sont faits par vn grand ou par vn
Prince estranger, que lors qu’ils sont commis par vn

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homme de plus basse naissance : ie mets la verité de
cette proposition à l’épreuue de toute sorte de replique
par vn seul raisonnement.

 

Il faut necessairement qu’vn homme de peu, qui
s’échappe iusqu’à ce point d’insolence que de porter
les mains ou d’attenter par quelque autre voye moins
brutalle à l’honneur d’vn Prince du Sang, soit resolu
de perdre la vie, par ce qu’il ne peut pas esperer de la
sauuer apres le succez de son dessein ; & cette necessité
de perir ou il s’engage visiblement fait voir
qu’il est fol, par ce que s’il estoit sage, il ne prodigueroit
pas sa vie ou son honneur à l’euidence du
danger dans lequel il n’a point de resource : cela est
sans replique.

Il s’ensuit donc que la satisfaction qu’on peut exiger
de ce fol, ne sera pas capable de faire aucune notable
impression dans les esprits, par l’exemple de
son chastiment, par ce que parmy ceux de sa condition,
ceux qui seront sages n’auront pas besoing de
cette bride de terreur pour moderer la passion qu’ils
pourroient auoir contre quelque Prince du Sang, &
ceux qui seront fols n’auront pas assez de iugement
pour s’effrayer de cette punition exemplaire qui sera
faite à leurs yeux, par ce qu’ils manqueront de reflection
pour en tirer cette consequence à leur aduantage :
Ainsi ce chastiment quoy que necessaire, n’aura
neantmoins point d’autre effet, que celuy d’auoir.

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esté causé luy méme par vn bel acte de iustice.

 

Mais lors qu’vn Grand & principallement vn
Prince estranger s’emporee iusqu’à cet excez ; il est à
presumer que c’est par le mouuement de quelque seditieux
party ; Ou par l’esperance qu’il a, que sa
naissance le garentira bien du danger qu’il encourt :
de quelque costé qu’il emprunte le motif de son entreprise,
ou qu’il reçoiue le bransle de son dessein,
ie soustiens hautement que l’impunité n’en peut
estre que d’vne tres pernicieuse consequence, &
que l’Estat est plus obligé de ne consentir iamais au
pardon, que si le criminel estoit d’vne condition
moins releuee.

Si cet attentat prouient de la conspiration d’vn
party, qui ne voit la necessité indispensable qu’on a
de l’estouffer par le chastiment de celuy sur lequel il
a ietté les yeux pour en faire l’instrument de ce detestable
dessein : si l’esperance d’estre garenty par la
grandeur de sa maison sert de motif à cet insolent
pour attenter plus audacieusement à la personne
d’un premier Prince du Sang ; n’appert il pas trop
manifestement que l’authorité de la maison Royale
est en compromis, & qu’il est dautant plus necessaire
pour sa conseruation de ne relacher iamais du droit,
qu’elle a d’en prendre vengeance, que plus il est infaillible
que l’impunité de ce crime seruiroit desormais
de planche, à des attentats d’vne mesme
natvre.

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Au reste cette impunité seroit d’vn tres mauuais
augure dans l’idée des peuples, qui ne manqueroient
iamais d’attribuer le pardon à la foiblesse
de l’Authorité Royale plustost qu à sa bonté ;
& qui pour cette mesme raison regarderoit
leur ioug auec plus de mespris, parce que le voyant
imposé par vne autorité qui ne leur sembleroit
pas assez ialouse de son pouuoir, il leur seroit
aduis qu’en le secoüant ils pourroient viure dans
l’impunité : Au lieu que si l’autorité souueraine se
tenoit inflexible dans le dessein de vanger vn
afront fait à la Maison Royalle par quelqu vn des
Grands de l’Estat, il ne faut point douter que cette
vigueur feroit entrer les peuples dans des sentiments
dignes de l’honneur de leur ioug ; & qu’ils
conceuroient de cette punition, qu’il seroit desormais
dangereux d’oublier leur deuoir, puis
qu’vn grand apuye de sa naissance & de ses alliances,
auroit neanmoins passé par la rigueur des
loix : Ces raisonnements sont à l’espreuue.

Pour ce qui touche le motif qu’on peut emprunter
des Princes Estrangers, il me suffit de
dire que ces Principions pourroient bien renouueller
la passion qu’ils ont eu autrefois de renuerser
la Maison Royalle ; & pour l’auantage desquels
Catherine de Medecis eut bien la hardiesse
de proposer par vn lasche sentiment de complaisance
pour eux, dont elle auoit besoin ; qu’apres
le premier Prince du Sang, il estoit iuste de donner
la présceance au premier Prince de la Maison
de Guise, apres lequel les autres Princes du Sang

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pourroient passer : Si Henry III. & Henry IV eussent
vescu plus long-temps ie pense que ces Messieurs
se fussent bien repentis à loisir d’auoir agrée
le suffrage de Catherine de Medicis.

 

Mais ils sont assez bas. Il faut seulement empescher
qu’ils ne se releuent au preiudice de la
Maison Royalle, & si quelqu’vn d’eux s’estoit oublié,
iusqu’à vouloir attenter à l’honneur & au
respect qu’il doit à nos Princes du Sang, le soutiens,
que pour fermer la porte à leur premiere
ambition il en faut faire vn exemple d’Estat, voyõs
l’histoire.

Le motif de cette seuerité qui porta le premier
Conseil Romain à faire mourir ses enfans, ne fut
emprunté que de cette politique, qu’en matiere
d’Estat ces ieunes Seigneurs estoient trop grands pour meriter
le pardon. Lors que Constantin le Grand
vengea par la mort, le dementir que Dalmace
Neueu de Mineruine & cousin-Germain de son
fils Crispe auoit receu, d’vn certain Agathon
nepueu d’Ablaue premier Ministre d’Estat de
l’Empereur, il protesta qu’il ne se portoit à cette
seuerite, que par le seul motif de vanger les interests
de la Maison Imperiale, qu’il ne pouuoir
abandonner sans frayer le chemin à sa perte par
de semblables attentats : Philippe de Valois ne
fit mourir Artus Comte de Perigord, que parce
qu’il auoit simplement menacé Philip de Comte
de Champagne son Cousin & premier Prince du
Sang ; & Paul Æmile cõclut auec la maiesté de ses
paroles sentẽtieuses, que la cõioncture des affaires

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pendant lesquelles on luy disputoit la succession
de la Couronne, exigeoit d’autant plus fortement
cét acte de seuerité, que plus il estoit necessaire de
chastier la resistance de ce Comte par vn coup
d’Estat : parlons franchement ; d’autant plus que
celuy qui offence vn Prince est grand, d’autant
plus est-on obligé de le chastier, pour tenir tous
les autres dans le deuoir par l’exemple de sa punition.
Et pour monstrer que les loix sont dans leur
force, puis que les grands mesmes qui les ont choquees,
ne peuuẽt point se soustraire à leur rigueur.

 

V. Pour conclure sans apel, contre ceux qui choquẽt
les Princes du Sang, ie dis que les Roys mesmes
ne peuuent point laisser ces iniures sans reparation,
& que l’Estat n’est pas moins obligé de s’en
ressentir, que de conseruer le trone qu’il a esleué,
pour seruir de tribunal de Iustice à son Souuerain.

Si les crimes ne sont appellez crimes d’Estat, que
parce qu’ils choquent tout l’Estat en la personne
de leur Souuerain ou de ses proches ; on ne peur
point douter qu’il apartient à l’Estat d’en prendre
connoissance, & que les Roys s’arrogeroient vne
authorité qui ne leur apartient pas, s’ils vouloient
empieter le pouuoir de suspendre la vengeance
d’vn afront qui n’est apellé crime d’Estat lors qu’il
les attaque, que parce qu’ils ont tous les interests
de l’Estat entre leurs mains ; & dont par consequẽt
ils ne sçauroient suprimer la vengeance par aucun
motif particulier sans renonceramesme tẽps à l’obligation
indispensable qu’ils ont de les apuyer.

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Le Parlement de Paris ne fut pas plutostren du
sedentaire par Philippe le Bel, qu’il commença
l’exercice de son authorité dans cette nouuelle
posture par vn bel acte de des-obeïssance ; & refusa
de receuoir la grace que sa Maiesté venoit de
donner par bonté à vn certain Bandy suborné par
Boniface VIII. son assassin ; protestant hautement
que c’estoit vn crime d’Estat que le Roy ne pouuoit
point remettre que par le principe d’vn motif
particulier emprunté de sa vertu ; & que pour cette
raison il ne falloit point auoir égard à sa grace,
parce que tout l’Estat y estoit interessé. I’en puis
dire tout autant de tous les crimes qu’on appelle
crimes d’Estat ; & puis que tout l’Estat est interessé
à leur vengeance, puis qu’ils ne s’appellent
crimes d’Estat, que parce qu’ils choquent tout
l’Estat, ie soustiens qu’il n’est pas à la disposition
particuliere des Souuerains, de les laisser dans
l’impunité : A vne autre fois la partie.

AV LECTEVR.

Cher Lecteur ie n’ay point fait d’autre piece que
celle cy depuis l’Apocalipse pour connoistre tous
mes ouurages, ie vous auertis desormais, que ie vous en
donneray cette marque sur la fin de tous ceux qui partiront
de ma main : ie suis reduit à cette necessité parce qu’on
vsurpe la methode de mes titres.

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Anonyme [1652], LE PLAIDOYÉ DE LA MAISON ROYALLE, OV LA CAVSE D’ESTAT, montrant comme il faut borner I. Les interests des Princes du Sang. II. Les interests des Princes Estrangers. III. Les interests des Mareschaux de France. IV. Et les interests des autres grands de l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2773. Cote locale : B_3_15.