Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.
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Le Card. Ie deuois cette reparation d’honneur à Monsieur le Comte
de Harcour, dont la gloire ne se pouuoit sauuer que par l’impossibilité de la
prise de cette place ; que le mauuais succez de Monsieur le Prince deuoit persuader
à tout le monde. Et de plus, c’estoit des ombres qui deuoient seruir de
relief à la gloire que ie preparois à mon frere. Et puis cette place estoit si importante,
qu’elle eust exposé toute la France, & rompu cette égalité si necessaire
au bien de toute l’Europe.

Le Casuiste. Ces Messieurs me diront aussi, Monseigneur, que vous nous
tailliez de la besogne en Italie exprés pour y enuoyer vostre argent, sous pretexte
d’en enuoyer pour l’entretien des armées du Roy.

Le Card. N’est-il pas iuste que chacun enuoye son petit fait chez soy. Où
en serois-je maintenant, si j’auois laissé mon argent en France ?

Le Casuiste. Puisque nous sommes sur l’Italie, Monseigneur, dites moy
qu’est-ce que ie respondray à ces Messieurs, si ils me demandent pourquoy
vous auez engagé la France, à supporter contre la Iustice, & l’interest du
Saint Siege les voleurs de ses finances ?

Le Card. Il faut dire des personnes qui auoient fait leurs petites affaires.
Voulez-vous que ie vous en dise la raison ? C’est que ie me sentois dans la
mesme condition qu’eux. Et eussiez vous voulu que j’eusse authorisé des
Loix, dont la rigueur se pouuoit exercer sur moy-mesme ?

Le Casuiste. Et touchant les affaires de Naples qu’on vous accuse auoir negligées,
Monseigneur, que diray-je à vostre iustification ?

Le Card. Vous leur direz qu’il falloit que ie les laissasse perir pour le bien
de la France.

Le Casuiste. Mais, Monseigneur, n’est-il pas bien important à la France de
détacher ce joyau de la Couronne d’Espagne ?

Le Card. Non, premierement pour conseruer cette diuine égalité, mais
encore pour détourner le mal qui nous arriue maintenant. Car les Parisiens
commençant à remuer, si j’eusse souffert que les Napolitains eussent esté victorieux,
quel encouragement cela n’eust-il pas apporté à la ville de Paris ? Et
au contraire, voyant le mauuais succez de leur sousleuement, les Parisiens
auoient sujet de craindre le mesme sort, & de ne rien remuer, de peur que la
chose ne tournast à leur confusion.

Le Casuiste. Vous voyez que cela n’a de rien seruy, Monseigneur.

Le Card. Cela n’empesche pas que ie n’aye fait ce que ie deuois faire.

Le Casuiste. Si ces Messieurs me demandent, Monseigneur, pourquoy,
voyant le Turc arborer son Croissant dans l’Italie, & eriger les statuës de Mahomet
sur les ruïnes du Crucifix. Vous n’auez pas fait la paix pour rendre de
glorieux seruices à toute la Chrestienté, puisque nos Roys estans les Fils aisnez
de l’Eglise, doiuent secourir les premiers, & l’ont fait lors qu’ils estoient
en âge d’estre maistres de leurs actions ?

Le Card. Pour cét effet il nous falloit la paix, & ie vous ay dit que ce n’estoit
aucunement l’interest de la France de la faire. Mais vous seriez bien
estonné si ie vous disois entre vous & moy, que c’est moy qui a porté le Turc
à armer contre les Venitiens.

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Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.