Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D’VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. Tenuë Sainct Germain en Laye deux iours consecutifs. PREMIERE IOVRNEE. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : C_5_28.
Page précédent(e)

Page suivant(e)

-- 16 --

laissons-là l’Angleterre. Ie croy que ces Messieurs ne s’y amuseront pas beaucoup.
Ils s’attacheront dauantage aux affaires de la France qui les regarde de
plus prés. Le bruit court que vous auez souuent arresté nos conquestes.

 

Le Card. Ie vous ay dit tantost, que l’interest de la France estoit d’estre
tousiours en guerre, & que pour la faire durer il ne falloit pas tousiours
conquerir. Outre qu’il couste trop à tant de garnisons.

Le Casuiste. Vos ennemis, Monseigneur, disent qu’en la conqueste des
places vous tiriez de l’argent de la France, & dans leur perte vous en receuiez
de l’Espagnol.

Le Card. Pourueu que ie fisse le bien de la France comme ie viens de vous
faire voir clairemẽt, peut-on trouuer mauuais que ie fisse vn peu mes affaires ?

Le Casuiste. Ils disent que Courtray vous a beaucoup valu.

Le Card. La place estoit bonne aussi.

Le Casuiste. Ils disent encore que l’ame du Mareschal Gassion vous a toûjours
persecuté depuis ce temps-là auec vn million de diables ; car vous sçauez
que de sa Religion il n’en va point en Paradis, & qu’il proteste qu’il se
vengera de vous dans l’autre monde.

Le Card. Voila encore vn plat de vostre mestier, vous tombez tousiours
sur vostre chimere de Religion.

Le Casuiste. Vous auez encore fait d’autres belles actions, pour donner
ce repos d’égalité, ou cette égalité de repos à toute l’Europe. Lerida a bien
signalé vostre prudence & vostre charitable zele à toute l’Europe.

Le Card. Ie sçay bien que tout le monde me condamne de n’auoir pas pris
Lerida, mais chacun n’en entend pas le secret. Eussiez-vous voulu que
j’eusse donné la clef de ma Patrie à ses ennemis capitaux ? & que toute la terre
m’eust reproché, que par la trahison d’vn Espagnol, l’Espagne estoit tombée
sous l’esclauage de la France ? Vous sçauez qu’on est obligé, & par nature,
& par honneur, d’auoir quelque tendresse pour l’honneur, & pour
le bien de sa Patrie ; Ie n’ayme point ces esprits casaniers qui ne sont nez que
pour eux ; il faut viure partie pour soy, & partie pour sa Patrie. Et puis la
perte de Lerida eust rompu entierement cette égalité entre la France & l’Espagne,
sur laquelle est fondée tout le bon-heur & le repos de l’Europe.

Le Casuiste. Monseigneur, que cette excellente Maxime d’égalité, qui est
comme le piuot sur lequel roule toute vostre Politique, rend vostre Eminence
admirable ! Car pour ne point parler de cét estre Souuerain, dont l’égalité
de trois Personnes n’est pas moins adorable que leur vnité en vn seul
Dieu, vous sçauez, Monseigneur, (vous qui estes de robe à cõnoistre les plus
mysterieux secrets de la Theologie) que la visiõ de Dieu rend la felicité des
Bien-heureux si égale, qu’ils sont incapable de jalousie & de contestation,
qui est en partie la cause du repos des Bien-heureux. Si nous descẽdons plus
bas, Monseigneur, vous voyez auec quelle égalité roulent les globes Celestes,
auec quelle égalité s’entretiennent le feu & l’eau elementaite, & comme
cette égalité empesche leur conflict, la confusion des Estoiles n’empesche
pas qu’elles ne conseruent vne certaine égalité dans leur cours. Le Soleil
marque à point nommé toutes les minutes du iour dans vne égalité parfaite :

Page précédent(e)

Page suivant(e)


Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D’VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. Tenuë Sainct Germain en Laye deux iours consecutifs. PREMIERE IOVRNEE. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : C_5_28.