Anonyme [1649], LETTRE D’AVIS A MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS, ESCRITE PAR VN PROVINCIAL. , français, latinRéférence RIM : M0_1837. Cote locale : C_3_31.
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& qu’il descouurit son dessein, à peine le peurent-ils croire, & n’oserent
se declarer iusques à ce qu’il les eust r’asseurez. Qui ne se fust
pas douté de quelque fourbe de la part d’vn homme qui estoit du
sang Royal ? Enfin les voila assemblez, & dans la resolution de ne
plus receuoir Tarquin, l’affaire est communiquée au peuple, tout le
monde y consent. Mais comment se defendre ? leur ruine estoit ce
semble ineuitable : le Roy estoit deuant Ardée auec vne puissante
armée, & eux n’auoient pas vn homme sur pied, ny pas vne place
que leur ville. Les Bourgeois ne sont pas d’ordinaire bons Soldats
hors de leur foyer : n’importe, la iustice de la cause les anime, Brutus
leur leue toute crainte en leur remonstrant que l’armée Royale
estoit fatiguée des guerres passées, que les soldats n’auroient pas
d’autres sentimens que leurs Concitoyens ; & que quand mesmes il
y en auroit de mal affectionnez, leurs femmes, enfans, & proches
parens, & tout leur bien estoient en la ville, qui seruoient d’ostages
tres-asseurez. Incontinent tout le monde prend les armes, le Senat
donne ordre au dedans, & luy accompagné des plus courageux s’en
va deuant Ardée, l’armée luy tend les bras, & le Tyran est contraint
de s’enfuir. Ce n’est pas le tout, le voilà aussi tost reuenu aux portes
de Rome auec les forces de Porsenna, & la reduit aux abois. Qu’artiue
t’il ? des prodiges sur prodiges. L’vn arreste toute l’armée ennemie
au bout d’vn pont, pendant qu’on le rompt derriere luy, & tout
chargé de coups se iette dans le Tibre, & se sauue deuers les siens :
vn autre s’en va au camp de Porsenna & le fait trembler par sa constance :
il n’y a pas iusques aux filles qui disputent auec les hommes
à qui fera plus paroistre de generosité : personne ne veut escouter
aucune proposition du Tyran, tout le monde luy resiste, en
vn mot, & luy & ceux qui l’assistent sont contraints de leuer le siege,
voyans qu’il n’y a pas moyen de les desvnir. Vous n’estes pas, graces
à Dieu, en ces extremitez-là ; mais cependant appliquez cet exemple
à vos affaires, & vous verrez qu’il n’y a gueres de difference, sinon
qu’vn grand Roy leur faisoit la guerre sous le nõ d’vn Tyran, & pour
vn Tyran, & que les Tyrans vous la font sous le nom d’vn Roy enfant
& innocent. Faites-vous vn modele de constance & de generosité
sur ces braues hommes-là, & apprenez que rien ne vous peut
perdre si vous les imitez. Souuenez-vous que quelques emotions
& diuisions qui soient arriuées entre le Senat & le peuple, pendant
que cet excellent Ordre s’est tenu estroitement vny, rien n’a pû
esbranler l’Estat Romain, non pas mesme la sedition des Gracches,
mais dans la guerre ciuile d’entre Sylla & Marius : les Senateurs s’estans
partagez, l’on vid bien-tost les testes volet, & les proscriptions
enregne. Cesar n’auroit iamais entrepris de porter les armes cõtre sa
Patrie, sãs qu’il estoit asseuré de la fidelité des Tribuns, & qu’il auoit
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Anonyme [1649], LETTRE D’AVIS A MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS, ESCRITE PAR VN PROVINCIAL. , français, latinRéférence RIM : M0_1837. Cote locale : C_3_31.