D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GAZETTIER DES-INTERESSÉ, ET LE TESTAMENT DE IVLES MAZARIN , françaisRéférence RIM : M0_1466. Cote locale : E_1_58.
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faisoit pleurer infinité, il a tiré de l’Italie des farceurs, de qui les
postures n’estoient gueres plus hõnestes que celles de l’Aretin, qui
faisoient profession ouuerte d’introduire les Images de toutes les
voluptez scandaleuses par les yeux & par les oreilles, & qui pour
estre entendus auec moins de peine & auec plus d’authorité, en enseignant
à faire des maquerelages de tout Sexe en plein Theatre,
& ce qui n’est pas moins étrange, dans vne maison Royale. Il en a
fuit venir d’vne autre espece pour nous endormir au son des
Theorbes & des Guitarres : & comme les compagnons d’Vlysse
enyurez du fruit qui leur fut offert, oublierent leur pays, il a creu
de mesme que nous pourrions oublier tous les interests du nostre,
apres auoir esté estourdis de cette musique. Mais estoit-il croyable
que des machines qui nous auoient plus cousté que toutes celles
de la guerre ne fissent point trembler d’horreur ceux qui en
auoyent la veue ? Que ces limonades qu’on y versoit auec vne profusion
galante, & qui auoient esté composées du sang de tant de
sujets fideles, ne laissent aucune frayeur aux plus alterez & aux plus
stupides ? Que nous eussions de l’admiration pour des Scenes toutes
remplies de nos souffrances & de nos miseres, & de l’amour
pour des spectacles qu’on nous faisoit achepter par le sacrifice de
tant d’innocens, & par la desolation de tant de familles ? Estoit-il
croyable qu’on deust payer tant d’obseques & tant de ruynes, par
des Metamorphoses d’Ouide, & par tant de fables d’Homere ? Que
tant d’ombres & tant de manes deussent estre appaisées par des Sarabandes
Italiennes, & qu’vne farce deut estre le prix de tant de victimes
immolées à l’ambition & à l’auarice. Le Cardinal Mazarin a
creu sans doute, qu’il seroit de cette dance, comme de celle des
Corvbantes, qu’on ne pouuoit iamais voir dancer sans estre épris
de mesme fureur ou comme Ælian nous asseure que les Pescheurs
attirent aisément dans leurs filets les Pastenades de mer, quand ils
les diuertissent par quelque chant : il faut dire de necessité que ce
Cardinal n’a pas eu meilleure opinion des François que de ces
poissons, & qu’il a creu nous surprendre & nous appaiser par l’harmonie
de ces Courtisanes effrontées. Mais il auoit oublié que la
Musique estoit vne chose bien importune dans le dueil, & sur tout
dans vn deüil public : que la France n’en feroit pas moins que cét
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D. B. [signé] / Cyrano de Bergerac, Savinien de [?] [1649], LE GAZETTIER DES-INTERESSÉ, ET LE TESTAMENT DE IVLES MAZARIN , françaisRéférence RIM : M0_1466. Cote locale : E_1_58.