M. L. [1650], DISCOVRS ET CONSIDERATIONS Politiques & Morales SVR LA PRISON DES PRINCES DE CONDÉ, CONTY, ET DVC DE LONGVEVILLE. , françaisRéférence RIM : M0_1120. Cote locale : D_2_36.
Page précédent(e)

Page suivant(e)

-- 25 --

de l’estre alors qu’ils attentent contre l’Estat ; & quant mesmes
il pourroit estre, que dans vn si grand attentat leur vertu
demeurast toute entiere, nous serions encores obligez
de preferer le premier amour au second, & celuy de la Patrie
à celuy de nos amis. Les peres mesmes doiuent abandonner
leur enfans en ce rencontre, & rejetter genereusement toutes
les tendresses de la nature, pour conseruer l’affection du
pays dans sa pureté. S’ils ont tousiours preferé son salut à
leur propre vie, pourront-ils souffrir que des fils ingrats qu’ils
n’ont mis au monde que pour le deffendre, fassent leur efforts
pour le ruiner. Brutus le Liberateur de Rome & l’exterminateur
des Tarquins, ne peust pardonner aux siens coupable
d’vn semblable crime, & parce qu’ils auoient conspiré le retour
du Tyran qu’il venoit de chasser, & qu’ils attentoient
à mettre encores le peuple sous sa tyrannie, luy mesme sans
vouloir se souuenir qu’il estoit leur pere, voulut estre leur
juge, & les condamna à la mort, qu’ils souffrirent à ses propres
yeux. Oseray-ie dire que les enfans ne doiuent pas auoir
de plus forts attachemens pour leurs peres ? Ie ne veux pas
entrer plus auant dedans ce probleme. Si est-ce toutesfois
que le Mareschal de Biron en vn rencontre où son pere auoit
espargné les ennemis, ne craignit point de dire que s’il eust
esté Roy il luy eust fait trancher la teste. Si est-ce toutesfois
que la Patrie est nostre premiere mere ; & que c’est en elle
que nous auons esté engendrez potentiellement long-temps
auparauant que nous le fussions en acte ; puis que ceux-là
mesmes sont en elle, desquels nous naissons, & qui nous
donnent les principes de la vie. Si doncques la patrie est nostre
premiere mere, pourquoy ne luy conseruerions-nous
pas nostre premier amour, & pourquoy ne la prefererions
nous à tous nos parens.

 

Il n’y a donc point de tendresse ny d’amitié que doiue attendre
le Prince de Condé dans la nature de son infortune.
Il s’est priué de ce qu’il y a de plus doux dans la vie pour auoir
voulu pretendre à ce qu’il y a de plus brillant. En quel estat
est à present ce cœur trop ambitieux, & trop superbe, puis

Page précédent(e)

Page suivant(e)


M. L. [1650], DISCOVRS ET CONSIDERATIONS Politiques & Morales SVR LA PRISON DES PRINCES DE CONDÉ, CONTY, ET DVC DE LONGVEVILLE. , françaisRéférence RIM : M0_1120. Cote locale : D_2_36.