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Mazarinade n° A_3_52

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Anonyme [1649], L’ENTRETIEN FAMILIER DV ROY, AVEC MONSIEVR LE DVC D’ANIOV SON FRERE, à sainct Germain en Laye. Fidelement recueilly par vn des Officiers de sa Majesté. , françaisRéférence RIM : M0_1241. Cote locale : A_3_52.


qu’à moy de passer dans ce Chasteau vne si rude saison, que le Bal &
la Comedie rendoit autant agreable à Paris, qu’elle est ennuyeuse dans
ce lieu. Ie vous auoüe, repart le Roy, que l’éloignement de Paris m’est
fort sensible ; mais ces foibles diuertissemens ne me le rendent pas insupportable,
c’est vn sujet plus serieux qui m’en fait desirer le retour ; si
vous me voulez promettre d’estre secret, ie vous en declareray naïuement
la cause. Hé quoy, mon petit Papa, reprit le Duc d’Anjou, croyez-vous
que ie voulusse perdre vos bonnes graces pour si peu de chose ? non, non,
soyez asseuré que ie mourrois plustost que de découurir ce que vous me
direz. Puis que vous me le promettez, continüe le Roy, ie ne vous celeray
rien de ce que ie pense ; Bien que nous soyons encore jeunes, vous
auez pû remarquer, aussi-bien que moy, le pouuoir que Monsieur le
Cardinal a sur ma bonne Maman, & en suite celuy qu’il a vsurpé sur
moy : Ie l’ay reconnu du commencement dans mes diuertissemens &
mes promenades, qui ne se faisoient iamais sans fon congé : mais depuis
que i’ay esté capable de penetrer plus auant, i’ay remarqué qu’il gouuerne
non seulement ma Personne, mais aussi tout mon Estat ; que rien
ne se fait sans ses ordres, & que la Reyne n’a que le nom de Regente &
luy en laisse tout le pouuoir : ce qui me semble d’autant plus estrange, que
i’ay appris qu’il est Estranger, & subjet naturel du Roy d’Espagne : car
quelle asseurance peut-on auoir de la fidelité d’vn homme qui se porte
contre son Prince naturel ? ou pour mieux parler, pourquoy ne craindra-t’on
pas qu’il trahisse plustost vn Estat estranger que son Roy legitime ?
Certainement cela m’estonne : car si ma bonne Maman n’estoit pas
capable de gouuerner ce Royaume, pendant ma jeunesse, elle pouuoit
prendre le conseil de mon Oncle le Duc d’Orleans, de mon Cousin le
Prince de Condé, ou de plusieurs autres Princes & Seigneurs de ma
Cour, que la nature & le deuoir attachoient plus fortement à sa conseruation,
sans souffrir la honte d’en aller chercher chez les Estrangers :
mais ie voy qu’ils dépendent tous de luy aussi-bien que moy ; & que luy
seul ne dépend de personne : Encore, s’il s’acquitoit bien de son Ministere,
& s’il n’auoit pour but que le bien de l’Estat, il se rendroit digne
en quelque façon de cette charge : mais on n’entend par toute la France
que les cris des Peuples qui se plaignent de la misere du temps &
du gouuernement ; que tout est reduit à l’aumosne ; & que par vne
mal-heureuse égalité les plus riches sont dans le mesme estat que les
plus pauures. Bien que ie ne puisse pas encore raisonner sur la cause
de ce desordre, ie connois bien toutefois qu’il ne peut prouenir que de
luy ; mais ce qui s’est passé depuis six mois, m’en a tout à fait asseuré, lors
qu’apres auoir esté témoin de la joye publique au dernier Te Deum