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Mazarinade n° D_2_21a

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Anonyme [1649], DISCOVRS DE LA CLEMENCE ET DE LA IVSTICE, AV PARLEMENT, pour & contre Iules Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_1114. Cote locale : D_2_21a.


C’est vne grande vertu que de pardonner, il est vray : Mais il n’est pas en mon
pouuoir de le faire. Dieu & le Roy m’ont mise entre les mains de cét auguste Parlement,
pour rendre equitablement à chacun ce qui luy est deub. Pour recompenser
dignement les vertus, & pour punir souuerainement les vices. Si ie ne recompense
& si ie ne punis ie ne suis plus Iustice. Ie ferme les yeux : ie pese de cette balance, &
ie tranche de cette espée. Si peu que le poids emporte d’vn costé ou d’autre, il faut
que j’y penche. Si i’arriuois à prononcer sur le plus leger, mes Arrests n’auroient
plus de poids. Ce qui me fait redouter, c’est que ie suis Iustice ; & si peu que ie marche
à droit ou à gauche, ie me fais mépriser ; & qui ne me craint, plus me hait. Il est
commandé aux hommes particuliers de pardonner ; de la mesme sorte qu’il m’est
ordonné de punir : Quand ils punissent, ils deuiennent coupables ; & si ie pardonnois,
ie deuiendrois criminelle. Ie sçay bien que Dieu est clement & iuste tout ensemble ;
qu’il pardonne & qu’il punit quand il veut, sans que rien luy resiste, & que personne
le condamne. Ie sçay mesmes qu’il a emané sur les Rois quelque rayon de cette
toute-puissance : Mais ie sçay bien aussi que ie n’en possede qu’vne partie, & c’est la
plus haute, la plus souueraine & la plus redoutable. Apprens donc ce que ie suis, &
ne cherche point de droict où ie regne. Ie voy bien que tu t’es trompée, quand tu as
creu quelque passion dãs les esprits de ces illustres Seigneurs qui m’exercent. Chacun
d’eux est de fait en particulier sujet aux passions comme le reste des hommes :
mais en Corps & dans la fonction de leurs charges souueraines ils composent vn Esprit
impassible. Ne leur parle donc point de vaincre des ennemis qu’ils n’ont pas : ils
dõnent la mort & laissent la vie, sans estre touchez ni d’amour ni de haine : & fermãs
les yeux aux personnes, ils ne font qu’écouter les raisons ; sur lesquelles ils donnent
leurs Arrests irreuocables ; sans aucune agitation de tendresse ou de courroux. Souffre
moy donc de leur dire, que puis qu’ils sont impassibles, & qu’ils ne se laissent
émouuoir à rien ; qu’ils prononcent l’Arrest de la mort d’vn coupable, qui meriteroit
de perdre mille vies si la Nature luy en auoit donné autant comme ses vices ont
formé de crimes, chacun trop digne de la perdre. Prononcez donc, Messeigneurs,
faites tonner ce foudre vengeur de tant de miserables, & punisseur de tant d’injustice.
Ne flatez plus vne vie qui n’a point voulu flater les vostres. Vangez vostre
Roy d’vn seruiteur infidele. Vangez les bons opprimez par ce meschant. Vangez
tous les François persecutez en tous les endroits de la France. Enfin vangez moy,
Seigneurs, moy qui vous ayant esté illustrement donnée de la part de vostre Dieu
& de vostre Monarque, ay si souuent & si honteusement esté foulée aux pieds de ce
sacrilege & de cét impie monstre de Sicile ; & me vangeant ainsi, releuez vostre esclat
abattu, & vous vangez vous mesmes, puis que vostre vangeance est si glorieuse
à Dieu, au Roy, & à tout cét Empire.
 

FIN.