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Mazarinade n° C_5_28

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Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D’VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. Tenuë Sainct Germain en Laye deux iours consecutifs. PREMIERE IOVRNEE. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : C_5_28.



Le Casuiste. Monseigneur ; c’est vn pain bien long que ces seruices-là, les
pauures François seroient morts par vn si long jeusne.
Le Card. Les grandes machines ne se meuuent pas si viste. Si le chappeau
de Cardinal m’a esté facile à acquerir, grand-mercy aux François ; mais les Italiens
se menent vn peu d’vne autre façon, il n’y a que l’argent qui les fasse
parler.
Le Casuiste. Mais Monseigneur, ie n’entends point cela, que vous dites
que vous vouliez détourner la paix pour vous enrichir ; N’est-ce pas dans la
paix que l’abondance regne ? Et la guerre n’est-elle pas vn gouffre, qui engloutiroit
les richesses d’vn Cresus ?
Le Card. Oüy, si l’on payoit les soldat, & qu’on n’eust point d’autre but
que de conquerir : Mais cela est bon à des idiots ; la France est si belliqueuse,
que si l’on luy laschoit la bride, & qu’on payast bien les soldats, l’Espagne
ne luy feroit qu’vn des-jeuner. Mais ce n’est pas là le jeu des bons Politiques,
ny mesme l’interest de la France.
Le Casuiste. Vous me rauissez l’esprit, Monseigneur. Vos maximes sont
admirables, & me surprennent d’autant plus, qu’elles semblent choquer le
sens commun.
Le Card. Vous m’auez interrompu, il me semble que j’allois dire quelque
chose de bon, sur quoy en estois-je ?
Le Casuiste. Monseigneur, vostre pensée estoit si subtile, qu’elle m’a aussi
eschappé de l’esprit.
Le Card. Ie m’en souuiens à present. Ie disois que ce n’estoit pas mon interest,
ny celuy de la France de conquerir si promptement.
Le Casuiste. Mais, Monseigneur, si l’on ne fait la guerre que pour conquerir,
& que la guerre soit vn fleau de Dieu si déplorable, n’est-il pas bon de la
terminer bien-tost par de glorieuses conquestes ?
Le Cardinal. Que vous entendez mal la Politique. Ce n’est pas mon but de
pousser les conquestes de la France plus auant, & quand ie voudrois ie ne
le pourrois pas. La raison de cela est, que la France & la Maison d’Austriche
sont les deux Poles, sur lesquels repose toute la tranquillité de l’Europe,
pourueu que leurs puissances soient égales. Et c’est dans ce contrepoids que
les autres petits Estats trouuent leur seureté, de là vient qu’ils se rangent toûjours
du costé du plus foible. Car si la France auoit subiugué l’Espagne, ou
l’Espagne la France, les autres petites Souuerainetez viendroient d’elles mesme
se rendre au vainqueur. Témoins les Hollandois qui nous ont abandonné,
tesmoins les Suisses qui n’ont iamais voulu permettre de nous rendre maistres
de la Franche-Comté, & tesmoin enfin l’eschoüement de l’ambition d’Espagne,
qui a pretendu vainement à la Monarchie vniuerselle.
Le Casuiste. Il me semble, Monseigneur, que ces raisons vous deuoient
auoir obligé à faire la paix, puisque la guerre n’est plus de saison lors qu’on
ne peut plus conquerir.
Le Card. Les armes sont aussi faites pour se defendre.
Le Casuiste. Vous auiez mis, Monseigneur, par vos sages conseils, la France
en vn estat de donner de la terreur à ses ennemis, plustost que de les craindre.