[retour à un affichage normal]

Accueil > recherche > Affichage d'une occurrence en contexte

Mazarinade n° C_10_24

Image de la page

Anonyme [1649], LES DERNIERS SVPPLIANS AVX PIEDS DE LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_1047. Cote locale : C_10_24.


rage pouuoit durer quelque temps encore, nous serions bien tost en
mal-heur tous esgaux.
 
Regardez donc, Madame, ce nombre affreux de miserables ; si nostre
qualité est indigne, considerez nostre quantité.
Nous oserons de plus vous dire grande Reyne, que nostre qualité
mesme, ville & abiecte, est vn obiect qui ne doit point estre mesprisable
à ceux qui commandent des Royaumes, & que la Politique nous
doit considerer : Il n’y a iamais eu au monde de Monarchie ny de Republique,
où ceux de nostre nom ne ce soient treuuez. Si les Estats
n’estoient composez que de riches & que de nobles ; si tous estoient
pour commander, qui voudroit seruir ? Dieu a voulu, Madame, qu’il
y eût des seruiteurs comme des maistres, afin que par le commandement
& par l’obeïssance, toutes choses fussent reglées par l’ordre qu’établît
entre les hommes, & la puissance & le deuoir. Sans cela on ne
verroit que confusion & que desordre ; & si ces deux choses sont si
considerables, commander ne l’est pas plus qu’obeïr.
Il est donc necessaire qu’en tout Estat bien conduit l’obeïssance ce
treuue, & qu’on y entretienne des esclaues, aussi bien que des Superieurs.
Nous sommes de ces premiers, Madame, qui sousmis au pouuoir
des autres, portons sur nous les premieres peines de la Republique,
& le ioug le plus difficile & le plus pesant. C’est nous qui donnons
nos sueurs aux particuliers, & par ce moyen au Corps de l’Estat
ensemble. C’est nous dont on remplis les armées de la Republique.
C’est au prix de nostre sang qu’elle triomphe : Ce sont nos bras qui la
vangent de ces ennemis. Quoy qu’on ne donne point nostre nom aux
victoires que l’on remporre, on vaincroit rarement sans nous. Nous
souffrons pour l’amour de l’Estat qu’on nous oste la gloire qui nous
donne tant de peine, sans murmure & sans in dignation. Pour le salut
de nostre Patrie, le froid & le chaud, la faim & la soif, les iniures du
Ciel & de la terre, la cholere des élemens & la barbarie souuant de ceux
qui nous commandent, nous attaquent sans nous ébranler. Nous allons
à la mort pour elle comme les agneaux à la boucherie, sans nous
plaindre & sans reculer.
Apres cela nous pouuons vous dire ouurez vos yeux sur nous grande
Reyne, & nous secourez. La Regence de l’Estat qui vous est commise,
vous oblige à nous conseruer. Si nous en composons vne partie, &
qu’elle perisse, dans peu de iours l’autre s’en va perir. Tous pasles &
défigurez que nous sommes ; tous foibles que vous nous voyez, l’estat
est apuyé dessus nos épaules, si nous tombons il tombe auec nous. Helas
en quel estat est reduit ce triste Royaume, s’il perd ces bras, qui
combattra pour luy. Cependant il a des ennemis en grand nombre, &
quant il n’auroit que celuy qui nous tuë, c’est trop.
Ce cruel & lasche Mazarin, ce Ministre perfide & infidelle, quand il
nous assassine, vous sert-il, Madame ; n’est-ce pas plutost vous trahir ?