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Mazarinade n° C_3_76

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Brousse, Jacques [?] [1649], LETTRE D’VN RELIGIEVX, ENVOYÉE A MONSEIGNEVR LE PRINCE DE CONDE, à S. Germain en Laye. Contenant la verité de la vie & mœurs du Cardinal Mazarin. Auec exhortation audit Seigneur Prince d’abandonner son party. , françaisRéférence RIM : M0_1895. Cote locale : C_3_76.


Grands, connoissant l’humeur du Cardinal de Richelieu d’vne superbe sans pareille,
qui comme vn Dieu ne vouloit pas estre abordé, ny adoré les mains vuides, il employoit
tout ce qu’il auoit de pension en achapt de presens qu’il luy faisoit, afin de se
conseruer dans ses bonnes graces ; Si bien qu’il estoit contraint de pouruoir d’ailleurs à
vne partie de sa despense & de son entretien. Et pour cet effect, suiuant la profession de
son ayeul, il faisoit trafic par l’entremise d’vn sien domestique de liures qu’il faisoit venir
de Rome, de tables d’Ebene & de bois de la Chine, de tablettes, de cabinets d’Allemagne,
de Gueridons à teste de more, & autres curiositez, qui se vendoient publiquement
dans vne Sale de l’Hostel d’Estrée, en la ruë des bons Enfans, qu’il auoit loüée
pour ce suiet : Et de l’argent qu’il en tiroit acheptoit des montres & quelques pierreries
qu’il enuoyoit à Rome, afin que de tous costez il tirast ce qui estoit necessaire à
sa subsistance. Et cet esprit mercenaire & de trafic luy est tellement naturel, qu’à present
qu’il est Cardinal, gorgé de biens, & suffoqué presques de toutes les richesses de
l’Estat, il ne sçauroit se retenir d’en vser. Gar l’on sçait qu’il fournit à la maison du
Roy & de la Reine, toute sorte d’estofes, de tapisseries, de vaisselle, de pierreries, par
l’entremise de l’vn de ses petits emissaires, l’Abbé Mondain, qui de Laquais Piedmontois
est deuenu Prelat de trente mil liures de rente ; & par cet auare, mais infame commerce,
oste la vie à cinquante familles de Paris, qui la gagnoient legitimement sur les
choses qu’elles fournissoient à la Cour, chacune selon sa condition. O Dieu ! qui auroit
creu en ce temps la qu’il fust iamais paruenu en l’estat auquel nous le voyons, au grand
malheur de toute la France ? Qui se seroit persuadé, mais qui le croira iamais dans les
siecles futurs le lisant dans l’Histoire, qu’en moins de six ou sept années, il se soit esleué
sur le faiste de l’auctorité, des richesses, de la grandeur & du luxe, au delà de ce que,
non les Histoires, mais les Romans & les fables nous racontent de plus inconceuable
dans l’antiquité ? Qui croira iamais, qu’vn petit estranger, sorty de la derniere lie du
peuple, subiet né du Roy d’Espagne, soit monté dans six ans iusques sur les espaules du
Roy de France ? ait fait la loy à tous les Princes, emprisonné les vns, chassé les autres,
gourmandé les Cours Souueraines, banny les plus zelez au bien de l’Estat, basty dans
Paris vn Palais qui fait honte à celuy du Roy, & où le luxe est au plus haut point iusques
sur les mangeoires des cheuaux, enuoyé en Italie & autres parts du monde la plus
grande partie des finances de l’Estat, achepté à Rome vn superbe Palais, où il a fait conduire
plus de trois cent ballots de meubles des plus precieux de toute l’Europe, fait
des profusions & des despenses incomparables pour l’entretien de sa vanité & de
son luxe, & tout cela au prix du sang des pauures François ; Et que cette nation genereuse
qui autrefois auoit de la peine à supporter le ioug de ses Princes legitimes, se soit
comme vn mouton, laissé non pas tondre, mais escorcher, sans oser mesme se plaindre ?
Que ses Princes l’ont sçeu, l’ont tolleré & approuué : Et à present que l’on s’efforce à
secoüer le ioug de ce Tyran, vous, Monseigneur, luy vouliez seruir d’appuy & de soustien,
pour le maintenir dans ses voleries, auec la perte, peut-estre du Roy, d’vn million
d’ames innocentes, & le peril & la ruine de toute la France ? Car, Monseigneur, y a-t’il
rien en tout tela que vous ne sçachiez & que vous ne voyez ?
 
Ie laisse à part son impieté en la Religion que nous professons, dont il prostituë l’innocence
par le luxe de sa vie, & en prophane la candeur & la Majesté par les fourbes &
les malices de sa conduite. Iamais homme ne fut plus attaché que luy aux obiets des
sens, ny plus enseuely dans les plaisirs & dans la volupté. N’a-il pas employé la faineantise
des Moines d’Italie trois années entierẽs. à composer des pomades pour blanchir
les mains ? N’a-il pas inuenté vne nouuelle sorte de breuuage pour la satisfaction de la
langue, dont le prix excede toute pensée ? N’a on pas donné son nom au pain, aux pas[1 lettre ill.]ez,
& aux ragousts, les amorces de la gourmandise ? Qui ne sçait ce que constent à la