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Mazarinade n° A_9_12

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M. L. [1650], DISCOVRS ET CONSIDERATIONS Politiques & Morales SVR LA PRISON DES PRINCES DE CONDÉ, CONTY, ET DVC DE LONGVEVILLE. , françaisRéférence RIM : M0_1120. Cote locale : A_9_12.


vainqueurs ? ce triste prodige est difficile à croire ; nous ne
sçauons comment nous deffendre de sa surprise, & toutesfois
nos propres yeux sont tesmoins qu’il est arriué.
 
Nous le voyons ce ieune audacieux, qui comme vn autre
Icare (pour s’estre trop approché de l’authorité suprême, de
ce Soleil ardent & redoutable qui brusle les aisles à tous les
temeraires que le vol emporte trop haut) est tombé dedans
sa disgrace, comme dans vne mer fatale où s’abysment tous<lb/> ses desseins.
Que les mouuemens de la fortune sont à craindre, & que
les fauoris de cette inconstante Deesse ont peu de sujet de se
glorifier de sa faueur ! Ceux qui establissent leur felicité sur
elle, prennent vn fondement de leur bon-heur bien peu solide,
& ne font pas les sages reflexions, que sur son inconstance
faisoit autrefois Paul Æmile vainqueur de Perseus Roy Macedonien.
Il ne vit pas si tost ce Roy miserable en son pouuoir,
qu’il demeura long-temps sans rien dire ; il expliqua
d’abord ces iudicieux sentimens par ce profond & ce graue
silence : & si tost qu’il ouurit la bouche pour parler, qui pourra,
dit-il, se fier desormais à la fortune ? si en vn moment nous
auons renuersé la maison du Grand Alexandre ; Quelle victoire,
quel gain de batailles, de villes ou de Royaumes nous
doit asseurer d’vne perpetuelle prosperité ? puis que ce superbe
successeur du plus grand Prince de la terre, que tant de
milliers de soldats suiuoient, vient de ceder au bon-heur de
nos armes, & se voit reduit de receuoir iour à iour son manger
& son boire par la main de ses ennemis. S’il en faut croire le
sage Solon, ce que nous nommons la Fortune n’est point vne
Deïté qui nous soit heureuse, puis que selon son sentiment
nul ne peut estre dit heureux pendant la vie, & qu’elle ne
nous touche plus apres la mort. Crœsus n’auoit pas pû comprendre
cette verité dans l’abondance de ses richesses, &
dans la grandeur de sa puissance ; & lors que Solon la luy vouloit
persuader il s’en mocquoit, & ne pouuoit estimer sage celuy
qui ne pouuoit l’estimer heureux : mais quand vaincu par
Cyrus, & condamné à mourir, il se vit eleué sur vn bucher