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Mazarinade n° A_9_12

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M. L. [1650], DISCOVRS ET CONSIDERATIONS Politiques & Morales SVR LA PRISON DES PRINCES DE CONDÉ, CONTY, ET DVC DE LONGVEVILLE. , françaisRéférence RIM : M0_1120. Cote locale : A_9_12.


par des excez de débauches dont ils sont moins satisfaits
que rebutez. Pour l’esprit, puis qu’il possede en soy-mesme
ses propres richesses, il ne peut pas estre priué de ses
delices. Ie sçay bien qu’il luy reste encore à se plaindre de la
perte de la liberté, mais la veritable liberté ne dépend rien
que du courage, elle n’a point son siege dans le corps, sa residence
est dedans l’esprit. Ces genereux Romains qui l’estimoient
au delà de la vie, & qui n’apprehendoient pas de
tout faire pour la conseruer, ne sçauoient ce que c’estoit de
la perdre, encores qu’ils fussent dans les chaisnes de leurs ennemis.
Seuole le fit comprendre à Porsene Roy d’Etrurie,
quand il luy fit leuer le siege de Rome par l’estonnante hardiesse
d’vne action qu’il fit en sa presence, & d’vn discours
qu’il fit à sa personne tout prisonnier & tout captif qu’il
estoit. Cesar mesme qui n’estoit pas vn mauuais rejeton de
cette ancienne souche, estant tombé entre les mains des Pyrates,
les menaçoit de les faire pendre quand ils interrompoient
son repos, & sans penser a estre prisonnier, d’vne ame
toute libre il parloit en maistre à ses geoliers, & traittoit
ses tyrans d’esclaues.
 
Le Prince de Condé peut donc estre entierement heureux
dedans sa prison, s’il à le courage de vouloir l’estre.
Mais qu’il est à craindre qu’il manque de cette grande force
d’esprit, qui s’assujettissant toute chose, ne ressent point
les reuers de la fortune, parce que la fortune mesme dépend
de son authorité. Qu’il est à craindre, que luy-mesme
dépende de la fortune, & qu’il ressente sa disgrace
auec tous les desplaisirs & toutes les foiblesses d’vne ame
qui manque de ses propres tresors. Qu’il est eloigné de
l’admirable constance que le Sage Socrate tesmoigna dedans
sa prison, & qu’il se liure bien plustost à la violente fureur de
Coriolanus Romain, & du Grec Alcibiades, lesquels banis
de leur pays, en prirent vne cruelle vengeance. S’il pouuoit
sortir de ses fers, que ne feroit-il point pour nous y mettre ?
quelles rigueurs n’exerceroit-il pas contre nous, s’il auoit aussi
bien que la volonté la puissance de nous mal-faire.