La Mothe-Houdancourt (Henri de) [?] [1649], PREMIER FACTVM, OV DEFENSES DE MESSIRE PHILIPPES DE LA MOTTE-HOVDANCOVRT DVC DE CARDONNE, & Mareschal de France, CY-DEVANT VICE-ROY ET CAPITAINE General en Cathalogne. Auec plusieurs Requestes, Arrests, & autres actes sur ce interuenus, tant au Conseil, qu’ailleurs. , françaisRéférence RIM : M0_2849. Cote locale : A_4_4.
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CONTRE
Monsieur le Procureur General du Roy au
Parlement de Grenoble.

PVISQVE Monsieur le Mareschal de la Motte, apprehendant
de preiudicier aux droicts & priuileges
que luy donne sa naissance, auec les qualitez
de Vice-Roy, de Duc, & d’Officier de la Couronne :
Refuse de respondre deuant Messieurs
les Commissaires de Grenoble, qui ont esté nommez par le
Roy : Et qu’à cause de ce refus, on menace de luy faire son procez
comme à vn muet : Le Conseil dudit sieur Mareschal se
trouue obligé de le faire parler au present Factum. Afin que
ceux qui pretendront de le iuger, & toute la France connoissent,
que ce Declinatoire ne procede d’vne opiniastreté coupable,
mais qu’il est fondé en droict & en raison.

Depuis le iour des Innocens de l’anné 1644. que Monsieur
le Mareschal de la Mothe, fut arresté prisonnier à Lion dans le
Chasteau de Pierre encise : On a pendant trois ans deliuré diuerses
Commissions à differentes personnes, pour informer
contre luy, tant en France, qu’en Catalongne, lesquelles Commissions
ont esté principalement executees, par le Lieutenant
Criminel de Paris, & par vn certain appellé Chirat.

Finalement par Commission donnee à Amiens au mois de

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Iuillet dernier, Monsieur de la Coste President, & Monsieur de
la Martiliere Conseiller au Parlement de Grenoble, auec Monsieur
de la Colombiniere Procureur general audit Parlement,
ont esté choisis pour faire l’instruction du Procez : Lesquels s’estans
transportez à Lion au Chasteau de pierre encise, afin d’y
interroger ledit sieur Mareschal : il leur auroit auec respect répondu
le Lundy 26. Aoust 1647. qu’il ne les pouuoit reconnoistre
pour ses Iuges, d’autant que comme Vice Roy, il ne deuoit
rendre compte de ses actions qu’à Dieu, & à la seule personne
du Roy, ou de la Reine Regente sa Mere : & que pour ses autres
actions le Parlement de Paris en pouuoit seul connoistre, comme
ayant l’honneur d’estre Duc, & Officier de la Couronne : &
estant Gentil-homme né, domicilié & prisonnier dans le Ressort
dudit Parlement, qui estoit déja saisi de l’affaire.

 

Ce Declinatoire est dans les formes : mais le Conseil de Monsieur
le Mareschal de la Mothe ne doutant pas, qu’aucuns ne
trouuent peut-estre estrange : qu’vn Vice-Roy refuse en ce
Royaume de respondre deuant les Parlemens, qui sont Iuges de
tous les sujets du Roy, de quelque qualité, & condition qu’ils
puissent estre : croit necessaire & expedient de maintenir &
prouuer la verité de cette proposition.

Voicy la premiere fois que la questiõ s’en est presentée, ne se
trouuant point aux registres de tous les Parlemens de France,
qu’on y ait fait le Procez à des Vice-Rois. Lesquels agissãts auec
vne authorité Souueraine, cõme ils font, ne sõt nõ plus obligez
de rendre compte de leurs actions, que les Cours Souueraines
de leurs Arrests, quelques Requestes Ciuiles, moyens de cassation,
& proposition d’erreur qu’on puisse alleguer contre leurs
Iugemens : Seulement quelque fois les Rois desirent que les
motifs leur en soient enuoyez. De mesme les Vice-Rois ne peuuent
non plus estre recherchez de leur conduite & vsage de la
puissãce Souueraine, de la quelle les Rois leurs Maistres leur peuuent
neantmoins demãder raison : Il n’y a que le seul cas de perfidie
contre leurs Maiestez qui les rende iusticiables. Les preuues
de cette prerogatiue sont si concluantes qu’estãt bien considerées
on ne les mettra pas entre les nouuelles iurisprudẽces.

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Ceux qui ont ecrit des Vice Rois, tiennent que c’est le plus
haut degré d’honneur où puisse paruenir vn sujet : les Rois se
dépoüillants de leurs authorité Royalle, en la remettant toute
entiere entre leurs mains. Les Iurisconsultes les comparẽt pendant
la Republique aux Proconsuls : pendãt les Empereurs, aux
Prefets du Pretoire ; & depuis les Empereurs d’Allemagne, aux
Vicaires de l’Empire ; Les Canonistes aux Cardinaux Legats à
Latere : En France nous ne les pouuons comparer qu’aux Regents
ou aux Maires du Palais, ou aux anciens Gouuerneurs
des Prouinces, qui auoient toute puissance Royalle : Auant que
le Roy Louys douziéme eût par Edict limité leur pouuoir.

Alors leurs actions estoiẽt si peu recherchées, que ceux mesmes
qu’ils employoiẽt ne le pouuoient estre. Il y en a vn exemple
assez remarquable, dans Froissard Volume 4. Chapitre 7
Iean Duc de Berry estant Gouuerneur de Languedoc, auoit
employé vn appellé Bethisac. Le Roy Charles sixiéme estant
venu en cette prouince, commanda, sur les plaintes des gens du
pays, qu’on fit le procez audit Bethisac, accusé d’auoir commis
plusieurs exactions. Le Duc de Berry interuint, qui declara
que ledit Bethisac auoit agi par ses ordres. Le Roy ayãt mis cette
affaire en deliberation, le Conseil dit à sa Maiesté, ainsi que
rapporte cét Historien, Sire, au cas que Monseigneur de Berry,
aduouë tous les faits de Bethisac à vous : quels quils soient, nous ne
pouuons voir par quelle voye de raison ait déseruy mort. Car du temps
qu’il s’est entremis par deçà, des Tailles, des Subsides, & des Aydes,
asseoir, prendre, & leuer, Monseigneur le Duc de Berry en quelle instance
il le faisoit auoit puissance Royalle comme vous auez pour le present.
Dãs la suitte du procez Bethisac témoigna quelques mauuais
sentimens contre la Religion : pourquoy il fut condamné
& bruslé comme vn Heretique. Ce qui fait conclure Froissard
en disant, Or regardez s’il estoit bien deçeu & enchanté, car s’il eut
tousiours tenu sa parole & ce pourquoy il estoit tenu & arresté, il n’eust
eu aucun mal, mais on l’eust deliuré, Car le Duc de Berry auoit tous
ses faits aduoüez.

Tels pouuoirs souuerains estans auiourdhuy abrogez en
France, il semble qu’on soit obligé au fait de Monsieur le Mareschal

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de la Mothe d’auoir recours à la pratique d’Espagne,
d’autant qu’il s’y agit d’vn Vice-Roy du Principat de Catalogne,
lequel s’est vni à la France aux conditions que par cette
vnion il n’y auroit aucun changement en la Police & Gouuernement
dudit Principat : & que par le 9. Article de ladite vnion
consentie par le Roy à Peronne le 18. Septembre 1641. Il est
stipulé que S. M. iurera & promettra que ledit Principat de
Catalogne, auec les Comtez de Roussillon & Sardaigne, seront
gouuernez par vn Vice-Roy & Lieutenant general de sa
Maiesté, auec tous les pouuoirs ordinaires : conformément aux
patentes qui luy en seront deliurées, selon les constitutiõs Municipales
de Catalogne.

 

Ce grand pouuoir est suffisamment exprimé, dans les prouisions
que le feu Roy octroya audit sieur Mareschal : par lesquelles
sa Maiesté, luy donne toute puissance Royalle & absoluë,
comme estant vn autre soy-mesme ; termes qui ne sont que traductions
des Patentes des Rois Catholiques, qui nommẽt leurs
Vice-Rois. Tanquam alter nos, ou tanquam alter Ego. Dans lesdites
prouisions il y a quelques cas specifiez, auquels les Vice-Rois
sont contraints d’agir, au dessus & contre les Loix, de
leur propre mouuement ; ce qu’ils n’oseroient entreprendre,
s’ils en pouuoient estre recherchez, & en rendre compte à d’autres
qu’à la personne des Rois leurs maistres.

Ils ont puissance du glaiue, de vie & de mort, sur toutes sortes
de personnes. Donnent abolition en tous cas, mesme aux
crimes de leze Maiesté au premiere & second Chef. Peuuent
commuer les peines en amẽdes pecuniaires, ou les remettre de
grace speciale : Peuuent euoquer à soy, la decision de toutes
causes Ciuiles, ou Criminelles. Faire leuée de gens de Guerre,
les conduire, ou faire conduire & en former vn corps d’Armee :
Conuoquer les feudataires, accorder ou reuoquer des Saufsconduits
aux criminels. Legitimer les Bastards, leuer les droits
de Passages & de Ponts. Bailler des Tuteurs aux Pupils, dõner
pouuoir de Represailles : de creer & casser les Capitaines de
gens de Guerre, & Gouuerneurs des Places, de pouruoir d’authorité
à tous les Offices triennaux ; & octroyer toutes les charges

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perpetuelles sous le bon plaisir de sa Maiesté : ils ont tout le
pouuoir qui appartient au Roy comme maistre des Monnoyes.
Puis sa Maiesté adiouste la clause generale, Et que vous puissiez
generalement faire, & plainement exercer toutes & chacunes les choses
qui seront necessaires, vtiles, & en quelque façon conuenables à ce &
pour ce que nous auons dit, & en ce qui en pourroit dependre, prouenir
ou en quelque façon suruenir : & tout ce que nous ferions nous-mesmes,
& que nous pourrions commander estre fait & executé, si nous
estions personnellement esdites Principautez & Comtez : bien qu’elles
fussent de telle nature, que de droit, ou de fait elle requissent nostre
presence.

 

Le stile des prouisions des Vice-Roys de Sicile, de Naples, de
Sardaigne & Milan sont sẽblables, elles se voyent au formulaire
de la Chancellerie de Naples. La Relation des voyages de
l’Hollandois Spilberg explique en trois mots le pouuoir des
Vice-Rois des Indes. Le Peru, Chili, & Terre Ferme, dit-il, est à
present gouuerné par Dom Iean de Mendoza de Lima Marquis de
Montesclaros, Vice-Roy & Lieutenant general de sa Maiesté d’Espagne :
Lequel en ces quartiers, a la mesme authorité, tant en disposition
& constitution des Offices, reuenus annuels & administration des
mines, que le Roy peut auoir mesme en son Royaume.

Quelques Iurisconsultes ont amplement escrit de la puissance
des Vice-Rois comme Ioannes Franciscus de Ponte, de potestate
Proregis, Ioannes Baptista de Toro & Marcus Antonius Surgens in
Neapoli illustrata. Lesquels en vertu des clauses generales contenuës
dans les Patentes, augmentent encore le pouuoir des
Vice-Rois aux choses generales & particulieres. Comme d’empescher
ou consentir les mariages des personnes qualifiées, Accorder
respits pour debtes ciuiles : faire nouuelles impositions
d’argent, pour la conseruation du pays. Bannir & rappeller
des bans : emprisonner & proscrire les personnes soupçonnées,
mesme de mettre leur teste à prix, toutes actions qui se faisant
bien souuent contre les Loix, pour le bien de l’Estat, Les Vice-Rois
n’oseroient entreprendre s’il estoit permis de rechercher
leurs actions. Les Rois remettans tout le Gouuernement à leur
conduitte. Les prouisions de Monsieur de la Mothe le portent

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ainsi, Et que vous puissiez sur iceux vniuersellement, singulierement,
& distinctement ; comme nostre propre personne, & vn autre nous mesme,
disposer, commander, ordonner, & establir, selon vostre plaisir,
& comme vostre prudence & discretion, trouuera plus conuenable pour
nostre seruice. Est-il vray semblable qu’vn homme qui a ce pour
uoir puisse estre recherché ? Il luy suffit de dire : ie l’ay fait,
pour ce que i’ay creu le deuoir faire, mon plaisir a esté de le faire
ainsi : tellement qu’il semble que la seule crainte d’offencer
Dieu oblige les Vice-Rois à bien agir, c’est pourquoy ledit
Ioannes Franciscus de Ponte. tit. 3. § 5. num. 7. cite les Theologiens
qui disent que les Vice-Rois pechent mortellement quãd
ils gouuernent mal : les Rois se remettant de toute leur souueraine
conduite, sur leurs consciences.

 

Selon la coustume d’Espagne, ils ne sont point recherchez
de leurs actions : pour preuue de cela le Roy Catholique à dans
le Royaume de Naples vn procureur general ou Sindic : & enuoye
tous les quinze ans vn Visiteur, pour informer des maluersations
de tous les Officiers, mais tous ces Inquisiteurs ne
peuuent toucher ce qui regarde l’Office de Vice-Roy. Marcus
Antonius Surgensl. 1. cap. 17. num 85. parlant desdits Visiteurs
& procureurs Sindics, dit, Ipse autem Prorex nec Sindicatui nec
Visitationi vnquam subest. Et de vray, si cela estoit permis ils ne
pourroient pas vtilement seruir le Roy leur Maistre, ny gouuerner
auec la puissance absoluë qui est necessaire : estant impossible,
quelques precautions qu’apportent les Vice-Rois,
qu’en la grande quantité d’affaires de Paix & de Guerre, qu’ils
sont obligez de faire, ils ne soient quelques-fois innocemment
surprix : & ne choses qui les pourroient selon les Loix mettre
en peine, s’il estoit libre de les pouuoir rechercher de leurs
actions.

Le mesme Autheur Marc Antoine Surgens Cap. 36. num. 20. remarque
qu’à cause de cette multitude d’affaires les Vice-Rois
sont cõtrains de laisser à leurs Secretaires des blãcs signez, pour
la facilité & diligence des expeditiõs, Idque Sacretartis Regis pro
regisue referri potest quibus tantum defertur authoritatis & fidei, vt
innumeras penes se teneant paginas albas à Principe sub scriptas vt

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cum res ex postulauerit illas habeant. Ce qu’ils ne feroient pas s’il
apprehendoient la recherche des Sindics & Visiteurs.

 

Cette coustume d’Espagne a rendu Monsieur le Mareschal de
la Motte si facile à bailler des blancs-signés, qu’outre son Secretaire
presque tous ceux qui faisoient affaires soubs luy en
auoient : On a trouué douze dans la Cassette du sieurs de la
Vallée : Le Sieur Dorce en doit auoir quatre dans les papiers
qui luy furent confiez pour certains emplois secrets où on l’enuoya.
La grandeur de cette charge obligeoit & contraignoit à
cela ledit sieur Mareschal, d’autant qu’estant souuent eloigné
de Barcelonne, à cause des occupations de l’armée ; & rien ne
se pouuant faire dans le pays, que par les seuls ordres des Vice-Roys :
il estoit obligé pour le bien du seruice du Roy de laisser
tel blancs-signez, pour en vser selon les mouuemens de la Prouince
& selon la necessité qui se presentoit. Il y auroit eu peril
en beaucoup d’occurences, s’il eust fallu aller, & auoir recours
à la personne mesme du Vice-Roy. Vn prompt remede arreste
quelquefois le cours d’vn affaire, que le delay de peu de iours
auroit ruiné.

Ces Vice-Roys d’Espagne sont si peu subiets à la recherche,
que les Roys Catholiques ont refusé autrefois d’ouyr les
plaintes des peuples contre eux. Le mesme Autheur Marcus
Antonius Surgens Cap. 25. num. 24. l’a ainsi remarqué, & selon
Ioannes Franciscus de Ponte, le Roy Philippes II. fut le premier
lequel y defera, & en fit vne Declaration pour l’aduenir : Lors
que la noblesse de Naples deputa le Marquis de Tutauilla, pour
se plaindre à sa Majesté Catholique du Comte d’Oliuarés, qui
auoit fait emprisonner le Prince de Casserte, auec plusieurs autres
personnes titulates du Royaume de Naples, pourquoy
ledit Comte fut reuoqué & celuy de Lemos enuoyé en sa
place.

Sur pareilles plaintes des peuples le Duc d’Ossonne fut rappellé
de Naples, & le Cardinal Zapata mis en sa place : N’y
ayant d’exemple en toute l’Histoire d’Espagne, que iamais les
Roys soient venus à cette extremité de faire le procez à leurs
Vice-Roys, sur pretexte de maluersation dans leurs Finances,

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il n’y a que les crimes de perfidie qui les y puissent obliger, s’ils
faisoient autremẽt ils diminueroient l’authorité Royalle, en laquelle
il est necessaire qu’ils les laissent agir sans aucune crainte.
Iusques à present ils se sont contentez de les reuoquer sur
les plaintes des peuples, sans vouloir plus auant penetrer les
motifs de leurs actions.

 

Et dautãt qu’aucuns ont voulu dire, qu’on auroit fait le procez
au Duc d’Ossonne ; A fin de monstrer, que ce n’a point esté
au subjet de son administration de Naples qu’il fut prisonnier :
La verité de l’Histoire est, que le feu Roy Philippes troisiéme
Pere de la Reyne Regente, reuoqua de Naples le Duc d’Ossonne,
sur la plainte que les peuples luy firent de la liberté de
son gouuernement : apres quoy ce Duc retourna en Espagne
rendre compte de son administration à la personne de sa Majesté
Catholique. Il demeura depuis en consideration dans la
Cour de Madrid, iusques à la mort du Roy son Maistre. Philippes
quatriéme ayant succedé à la Couronne, il y eut vne reuolution
toute entiere aux affaires d’Espagne. En cette mutation
le Duc d’Ossonne fut arresté, non à cause de ces Vice-Royautez
de Sicile & de Naples, mais au suiet de ce qu’il estoit parent
& confident des Ducs de Lerme, & d’Vssede qu’on entreprenoit.
Il fut en prison pendant deux ans sans aucune formalité
de Iustice, iusques au iour precedent de sa mort, que le Roy
luy enuoya dire qu’il n’estoit plus prisonnier.

D’objecter que ce n’est pas la coustume de France qu’il y ayt
des Sujets exempts de la Iurisdiction des Parlemens. Il ne s’agit
pas icy des coustumes anciennes de France, mais de celles de la
Catalogne, qui s’est vnie depuis sept ans à cette Couronne
auec toutes ses libertez & franchises qu’elle possedoit soubs la
domination d’Espagne. Ce n’est pas la coustume de France que
le Roy soit obligé pour la disposition des charges & benefices
d’vne Prouince, à ne faire choix que des naturels du mesme
pays ; Il est libre à sa Majesté d’enuoyer vn Gascon en Picardie,
pour remplir vne Charge, ou dignité vacante : Mais pour la Catalogne
le Roy ne peut faire election que d’vn Catalan pour
remplir les Offices vacants. Ce n’est pas la coustume qu’vn

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Conseiller d’vne Ville, d’vn Parlement ou d’vne Prouince soit
couuert deuant nos Roys. Les Parlemens entiers & tous nos
Princes y sont tousiours la teste nuë, & cependant il n’y a pas
vn des Conseillers de Barcelonne qui ne se puisse couurir deuant
nos Roys, & deuant tous les Princes du Sang Royal
quand il viendra à la Cour. C’est vn priuilege dans lequel ils se
sont tousiours maintenus soubs les Roys Catholiques, & qui
leur a esté confirmé par le Roy Louis XIII. au 6. article de l’vnion
du Principat de Catalogne.

 

Ainsi il ne faut pas trouuer estrange, que les Vice-Roys des
Pays qui ont des Loix & des regles de leurs conduitte toutes
differentes des nostres : ayent aussi des prerogatiues telles que
nous disons, desquels ne ioüissent pas les Gouuerneurs & Lieutenants
Generaux pour le Roy dans ces Prouinces. Quiconque
d’ailleurs lira les prouissions des Gouuerneurs de ces pays
cy & celles des Vice-Roys de Catalogne qu’on a mis exprés à
la fin de ce Factum : ne s’estonnera pas, que ceux-cy ayent plus
de préeminences & de pouuoir que ceux-là, & ne tirera pas de
consequence que les vns soient sujets aux mesmes Loix, que les
autres. Entre les Vice-Roys mesme il y a de la difference, en
Espagne il n’y a que ceux de Naples, de Sicile, de Portugal, de
Catalogne & des Indes, auec les Gouuerneurs de Milan & des
Païs-bas qui vsent de cette puissance absoluë, les Roys Catholiques
font donner aux autres des contrelettres pour restreindre
leur puissance : ce qui est la cause que les Catalans ont fait
mettre dans les conditions de l’vnion signée par le Roy : que
leur Vice-Roy aura l’authorité contenuë dans la minutte de
ces Patentes, Entre les Gouuerneurs des Prouinces de France,
celuy du Dauphiné a des prerogatiues que n’ont pas les autres,
en Angleterre & Dannemarc les Vice-Roys d’Irlande & de
Noruerge n’ont presque que le nom, comme celuy de Nauarre
& de Bearn en France, Ce qui fait qu’on ne peut alleguer pour
exemple le Procez fait depuit six ans à vn de ces derniers : aussi
ce ne fut pas vne action de Iustice reglée, mais la rebellion &
mutinerie d’vn peuple qui a autrefois traitté de la sorte aucuns
de ses Roys & Reynes.

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Certainement les Royaumes ont des coustumes & constitutions
differentes aussi bien que l’Eglise, par lesquelles ils se conduisent
& gouuernent. On voit cette verité dans les Conciles
Nationnaux d’Arles en France, de Tolede en Espagne, de Cartage
& Mileuitain en Afrique : que bien qu’il n’y ayt qu’vn seul
Souuerain Pontife, qui est sa Sainteté, à qui toutes ces Prouinces
sont subjettes dans le gouuernement de l’Eglise & conduitte
Spirituelle. Toutefois les Statuts & Loix d’vne Eglise en
chacune de ces Nations ne sont pas propres aux autres ; ainsi
qu’il paroist par les differents Reglemens contenus dans lesdits
Conciles, & les Peres sont tous dans ce sentiment, que
chacun est obligé en conscience, selon sa naissance & demeure
d’obseruer les Coustumes locales, de son Eglise : qui pour
estre contraires, ne prejudicient pas pour cela à l’Vnité de la
Foy, qui est commune à tous les Fidels de quelque nation qu’ils
soient.

De mesme les Coustumes differentes des Royaumes & Païs
pour le gouuernement & la police, subsistent entre elles sans
destruire la Souueraine depẽdance & relation qu’ils ont à vne
seule Couronne : qui est ce qu’on peut desirer, & ce qu’il y auroit
à blasmer dans les pouuoirs des Vice-Roys, s’ils estoient
entendus d’vne autre maniere.

Dieu est Autheur de toutes les Creatures, & elles conuiennent
égallement en sa dependance, neantmoins il en forme les
vnes de ses propres mains, & les conserue immediatement
comme les Anges & nos Ames. Il produit les autres & les entretient
par l’entremise des causes secondes ; comme la lumiere
par le Soleil, la chaleur par le feu. Ce n’est pas que l’Ange ne
releue aussi absolument de Dieu, & n’en depende aussi essentiellement
que la lumiere : mais auec cette distinction que la
dependance dans les Anges, est purement & immediatement
de Dieu, & dans les autres exemples elle est mixte, & tient, &
releue aussi des Creatures.

Ainsi les Vice Roys, qui ne respondent de leurs actions
qu’au Roy : comme ayant le depost & la plenitude de son authorité
Souueraine, ne sont pas pour cela moins dependans &

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subjets au Roy, que les moindres de son Estat qui dependent
de leurs Parlements. Mais ils en releuent d’vne façon plus noble,
& illustre que les autres subiets : c’est à dire ils sont immediatement
sousmis aux Roys, & comptables à eux seuls de
leur conduite : & pour les autres subjets il y a des Parlements
ausquels les Roys se rapportent pour rendre la Iustice & demander
compte des actions en particulier d’vn homme quand
il en est requis.

 

Par ces raisons, on peut conclure trois choses : La premiere
que monsieur le Mareschal de la Mothe, en son declinatoire, a
peu & deu dire, comme il a fait : Qu’en qualité de Vice-Roy il
n’estoit obligé de rendre cõpte de ses actions qu’à Dieu, & à la
seule personne du Roy, ou de la Royne Regente sa Mere, Ce
qu’ayant esté prouué clairement & n’estant point contredit
d’aucun exemple contraire ; Le Conseil dudit Mareschal croit
qu’il est de l’équité & Iustice du Parlement de Grenoble, de
ne prendre aucune connoissance des actions dudit Sieur Mareschal
pour ce qui est de l’administration de sa charge, puis qu’à
son égard, il soustient cette verité.

La seconde, qu’il n’y a que les plaintes des peuples, qui ait
iusques à present pretexté colere des Roys, contre des personnes
releuees en si haut dignité ; Plaintes qui ne se trouuent pas
contre Monsieur le Mareschal de la Mothe, au contraire les
peuples de Catalogne ont sa memoire en benediction, il les a
si doucement gouuerné, qu’aucuns particuliers Catalans s’estans
hazardez de faire des plaintes de luy au nom du Pays :
ils en ont esté desaduoués publiquement auec opprobre.

La troisiéme que les differentes coustumes de France & de
Catalogne, sont dans l’ordre & ne portent aucun preiudice à
la Royauté, elles sont authorisées par l’vnion que le feu Roy
d’heureuse memoire en signa à Perrõne, & que Monsieur le Mareschal
de Brezé a jurée dans l’Eglise de Bercelonne comme
Procureur de sa Majesté.

Nonobstant toutes ces prerogatiues des Vice-Roys, Monsieur
le Mareschal de la Mothe ne refuse pas de se iustifier

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puisqu’il est si mal-heureux que le Roy son Maistre le desire.
Lors qu’il fut arresté, il venoit rendre compte de ses actions à la
Reine, & les differens Couriers qui luy porterent l’aduis de sa
detention, confirmée par cinq personnes à une lieuë de Lyon,
ne le pûrent diuertir de ce dessein. En ayant esté empesché par
sa prison, auparauant que Messieurs les Commissaires allassent
à Pierre-encise, il auoit presenté Requeste au Parlemẽt de Paris :
où il auoit esté receu appellant de toutes les procedures faites
contre luy par le Lieutenant Criminel du Chastelet en vertu
d’vne Commission extraordinaire.

 

La competence du Parlement de Paris, ne peut estre reuoquée
en doute ; les Aduocats qui ont fait imprimer les moyens
de la Requeste qui a esté presentée par le Pere dudit sieur Mareschal,
la pretendent soustenir par beaucoup de raisons naturelles
& priuilegiées, qu’on trouue à propos de repeter en partie
au present Factum.

Les naturelles sont, que Monsieur le Mareschal de la Mothe
est né Gentil-homme dans le Ressort dudit Parlement, qu’il y
est domicilié, que son pere y demeure, qu’il y a tout son bien,
& qu’il y est prisonnier.

Les priuilegiées, que ledit Seigneur par les biens-faits du feu
Roy son bon Maistre à l’honneur d’estre Duc, & Mareschal de
France, Qualitez qui luy donnent le droit d’estre iugé au Parlement
de Paris à l’exclusion des autres Parlements, ce qu’estant
il n’a pû ny dû reconnoistre Messieurs les Commissaires du Parlement
de Grenoble.

Quelques vns qui veulent douter des Coustumes les mieux
establies du Royaume : alleguent contre ce droit du Parlement
de Paris. Que les Ordonnances n’en font aucune mention ; &
qu’il y a des exemples contraires. On respond au regard des
Ordonnances, qu elles ne parlent d’ordinaire que des choses
douteuses, ou controuersées : & non pas de celles qui sont tenuës
pour certaines. C’est pour cela aussi qu’elles ne fõt aucune
mẽtion du droict qu’ont en pareils cas les Pairs, Presidens, &
Cõseillers dud. Parlemẽt ; & toutefois ces mesmes Critiques ne
les reuoquent point en doute. Il y a pour ce regard quelque difference

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entre le Parlement de Paris & les autres Parlements de
France ; car encore qu’ils agissent auec vne authorite Souueraine,
ils ont neantmoins esté tous démembrez dudit Parlement
de Paris : lequel ayant seul succedé, à cet ancien Parlement ambulatoire,
qui assistoit tousiours pres de la personne des Rois ;
Connoissoit seul en presence de leurs Maiestez, de ce qui concernoit
les pairs, Ducs, & principaux Officiers, tant de la Couronne
que de la maison du Roy. Et il est constant que nonobstant
l’erection desdits nouueaux Parlemẽts, les Rois ont reserué
au parlemẽt de Paris (comme le seul Collateral de leurs Majesté)
quelques prerogatiues, laissées pour marques de son anciẽne
grãdeur, sçauoir entre les affaires Criminelles le pouuoir
de iuger les Officiers de la Couronne, & dans les Ciuiles, celles
de connoistre des Regalles & du Domaine. Le Stile imprimé
du Parlement de Paris, qui en est comme la coustume écrite, &
sur laquelle les peuples reiglẽt leurs affaires, le dit positiuemẽt
en ces termes. Il connoit en premiere instance des Procez Criminels
desdits Pairs, Ducs, & Principaux Officiers de la Couronne, des Presidens,
Conseillers, & autres estans du corps de ladite Cour.

 

Et en cela pour les Mareschaux de France il y a quelque raison,
Auec le Connestable ils sont les principaux Officiers de la
Couronne, qui doiuent selon la coustume ancienne prester le
serment audit parlement de Paris : ioint qu’ils y ont sceance &
voix deliberatiue, lors que les Rois y tiennent leur lict de Iustice
& qu’ils ont dans l’enclos du palais la Iurisdiction de la Cõnestablie
& Mareschaussee de France, dont les appellations
vont au seul Parlement de Paris, nonobstant que les parties
soient du Ressort des autres parlements.

Les exemples y sont. Ledit parlement reuit le procez du
grand Maistre de Montegu, iugé par Commissaires : Iugea le
Duc d’Alençon, le Duc de Nemours, le Cõnestable de S. Paul ;
a reueu le procez du Mareschal de Biés iugé par commissaires ;
condamné le Mareschal de Biron & la Mareschal d’Ancre, absous
le Duc de Roüannes, & encor depuis peut reueu le procez
de Monsieur le Duc d’Elbœuf, quoy que iugé par contumace
au parlement de Dijon.

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Pour les exemples contraires ; ils ne portent aucune consequence
contre cette authorité, née auec le parlement de Paris.
Ce sont des exẽples de la colere des Rois, lesquels par vne puissance
absoluë peuuent renuerser quand il leur plaist, les choses
qui sont tenuës les mieux establies dans leur Royaume : Ce
que l’on ne peut croire de la Reine au suiet de Monsieur le Mareschal
de la Mothe, apres que sa Maiesté a si solemnellement
promis, que pendant sa Regence elle ne permettoit pas,
qu’aucun fust lugé par autres que par ses Iuges naturels & ordinaires.

Les exemples particuliers ne destruisent pas les Loix, & du
fait au droit la conclusion n’est pas tousiours asseurée : autrement
tant dans l’Eglise, que dans les Royaumes tout seroit en
confusion. Dira-on ? que les Empereurs ont droit de deposer
les Papes, parce que Syluerius fut deposé par iustinian Empereur,
& Vigilius substitué en sa place. Et à cause que Iean douzieme
fut demis par les menées d’Othon Empereur, ainsi qu’il
arriua de Liberius par l’Empereur Cõstance. Dirons-nous que
les Papes peuuent se ioüer des Couronnes, d’autant que nous
en voyons beaucoup d’exemples ! de Gregoire II. Adrian II.
Innocent III. & de Gregoire VII. qui ont fait des entreprises,
lesquels si leurs successeurs vouloient tirer à consequence, &
mettre en pratique, les parlements & les Rois qui y ont interest
s’y opposeroient.

On ne regarde pas tousiours en ceux qui peuuent ce qu’ils
veulent ; ce qui s’est fait, mais ce qui se doit faire. Les exemples
sont loüables & fortifient les Loix quand ils leur sont conformes,
mais ils ne les destruisent pas quand ils y sont contraires ;
principalemẽt quand ceux sur lesquels on veut asseoir des consequences
ne sont pas authorisez par la voix publique, ains
decreditez de tous les gens de bien, comme sont ceux qu’on
allegue.

C’est chose remarquable que depuis 600. ans que regne heureusement
la troisiéme race de nos Rois, il ne se trouue que
cinq Officiers de la Couronne ausquels leurs Maiestez ayent
fait faire le procez par Iuges extraordinaires. Sçauoir au grand

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Maistre de Montegu, à l’Admiral Chabot, & aux Mareschaux
de Gié, de Biez, & de Marillac. Car pour Monsieur le Mareschal
Duc de Montmorency, il ne voulut decliner du Parlement de
Tolose, lequel d’ailleurs pouuoit estre censé comme luge ordinaire,
à cause que le Roy y estoit present, & que le delit estoit
commis dans son Ressort.

 

Au regard de ces cinq autres Illustres mal-heureux, l’Histoire
les plaint & blasme la memoire de ceux qui les ont poursuiuis,
la mort du premier fut dés l’instant & dans le mesme regne
suiuie d’vne declaration d’innocence ; & cent ans apres le Roy
François I. confessa à vn Celestin de Marcoussi qu’il auoit esté
mal condamné, & approuua la replique de ce Religieux qui luy
dit : Aussi Sire fut-il iugé par Commissaires. Pasquier en ses Recherches
de France, rapporte auec estonnemẽt les procedures
faites contre l’Amiral Chabot. D’Argentré en ses Chroniques
de Bretagne, apres auoir infiniement loué vne des grãdes Reines
qui ait esté en France, reconnoist qu’elle s’est mõstree trop
vindicatiue en la poursuitte du Mareschal de Gié. Pour le Mareschal
de Biez, sa declaration d’innocence est enregistrée au
Parlement de Paris, & Monsieur le Mareschal de Montluc en ses
Commentaires, parlant des charitez qu’on preste vn peu trop
souuent à la Cour, & d’autres Autheurs apres luy en ont fait
des Relations, qui font pleurer de compassion ceux qui les
lisent.

Reste Monsieur le Mareschal de Marillac, on voit à present
comme la voix du peuple en parle, & ce que les François & les
Estrangers en disent. Monsieur le Cardinal mesme, temoigna
qu’il attendoit vn plus doux Arrest de Messieurs les Commissaires
qu’on auoit choisis. Car ceux qui auoient esté tirez du
Parlemẽt de Dijon l’estant allé trouuer le lendemain de l’execution,
se persuadant d’obtenir du Roy, par la faueur de son
Eminence, les recompenses qu’ils s’estoient promises : Ce
Grand homme qui a sur tous ceux de son siecle, mieux sçeu distinguer
les bonnes actions des mauuaises : Fit à leur compliment
cette responce, qui fut lors recueillie mot à mot. Messieurs,
il n’y a personne qui ne croye encor, que Monsieur de Marillac

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ne soit mort iniustement, moy-mesme iusqu’à cette heure, ie n’auois pas
creu qu’il y eut matiere d’vn tel Arrest. Mais il faut recognoistre cette
verité pour deffendre vostre iugement, que Dieu donne d’autres lumieres
aux Iuges qu’aux autres hommes ; C’est vne belle qualité que d’estre
bon Iuges & incorruptible. Adieu Messieurs. Apres quoy le
Capitaine des Gardes les fit retirer, en disant, Place Messieurs,
son Eminence va à la promenade. Bel exemple à ceux qui acceptent
semblables commissions extraordinaires contre les Ordonnances
du Royaume ; sur l’esperance d’augmentation
d’honneur, ou de quelque meilleure fortune.

 

Estant chose bien remarquable, que ce mal-heureux & pitoyable
Seigneur auoit esté déja plusieurs mois sans vouloir
respondre deuant lesdits Cõmissaires extraordinaires : iusques
à ce qu’ils s’aduiserent de luy dire qu’on le condamneroit
comme vn muet, pour vn crime le plus noir dont vn homme
de sa qualité pouuoit estre accusé, qui estoit qu’il auoit voulu
vendre la Citadelle de Verdun à l’Empereur ; Feinte accusation,
qui l’émeut si fort qu’il se sousmit alors à estre interrogé.
Le Parlement de Paris se reconnoissant son Iuge legitime, receut
ses Requestes & appellations ; comme il est remarqué sur
les registres de la Cour des 4. & 22. Feurier, & 4. Septẽbre 1641.

Ledit Sieur Mareschal reconnoissant depuis, mais trop tard,
auoir derogé à sa qualité, en respondant à tels Iuges extraordinaires :
il ne les voulut plus reconnoistre, quoy que presidez
par vn Garde des Seaux de France. La Relation imprimée de
ce qui s’est passé en son Procez, rapporte que la derniere fois
qu’il fut oüy, il leur dit, que Dieu luy ayant fait la grace a’estre né
Gentil-homme du Ressort du Parlement de Paris, & le Roy l’honneur
de le faire Officier de sa Couronne ; il les prioit de l’excuser s’il
ne les pouuoit recognoistre pour estre ses Iuges naturels, ny les honorer
en cette qualité, en suitte des protestations qu’il auoit faites auparauant,
& qu’il reiteroit de nouueau.

Si tels exemples condamnez dans l’Histoire, estoient receus
pour en tirer consequence contre le Parlement de Paris : on
pourroit aussi dire, que le mesme Parlement n’est pas à l’exclusion
des autres Parlemens, Iuge des Pairs, ny des Presidents

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Conseiller de la Cour, en alleguant l’exemple de M. de Montmorency
pair iugé au parlement de Tolose, & de M. le president
le Congneux iugé par contumace au parlement de Dijon,
& de M. de Thou iuge par Commissaires à Lyon.

 

Outre que Monsieur le Mareschal de la Mothe est Officier de
la Couronne ; il est Duc de Cardonne, qualité qui luy donne
d’abondant le priuilege d’estre iugé au parlement de Paris. Il
se trouue deux seuls exemples de Ducs non pairs, ausquels on
a fait le procez : & tous les deux ont esté Iugez audit Parlemẽt
de Paris. Sçauoir l’an 1477. le Duc de Nemours qui fut condamné,
& l’an 1623. le feu Duc de Roannes qui fut absous. Et
partant si les exemples prouuent le droit, le Mareschal de la
Mothe comme Duc ne sçauroit estre iugé ailleurs.

On ne peut infirmer ce dernier droit pour dire que c’est vn
Duché estranger, puis qu’il a eu l’honneur d’en estre inuesti
pour recompense d’vne Bataille gagnee, depuis que la Catalogne
a esté vnie a la Courõne de France, par le consentement
des peuples, acceptation & declaration du Roy. Aussi que sa
Majesté par son inuestiture declare qu’il donne audit sieur Mareschal
le Duché de Cardonne pour en joüir & sa posterité,
heritiers, ou ayans cause, auec tous les honneurs, priuileges,
prerogatiues, & préeminences attachées à la dignité de Duc.

Il y a plus, le Duché de Cardonne, estant vn des plus nobles
& considerables Fiefs qui soit en Catalogne, a attaché à soy &
inseparablement vny la qualité de Grand d’Espagne. Qualité
qui fait que ceux qui en sont honorez, ont cette prerogatiue
de ne pouuoir estre iugez que par les autres Grands leur Confreres
en presence du Roy, qui en signe la Sentence de sa propre
main. Doncques la Catalogne estant auiourd’huy vnie à la
France auec la cõseruation entiere des priuileges, immunitez
& préeminences de l’Eglise, de la Noblesse & du Peuple : seroit
aller contre la promesse du Roy qui a signé l’vnion, & contre
la veritable politique qu’vn Duc Grand d’Espagne fut iugé en
France en autre forme que les Grands de France, qui sont les
Ducs & Pairs : lesquels ont le priuilege de ne pouuoir estre
iugez que par les autres Pairs, pour ce conuoquez au Parlement

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de Paris, lequel est leur seul Iuge à l’exclusion des autres
Parlements.

 

S’il y auoit lieu de faire le procez à Monsieur le Mareschal de
la Mothe, ailleurs qu’audit Parlement de Paris : Ce ne pourroit
estre legitimement qu’au Conseil Royal de Catalogne, en
cas que la Reyne Regente se voulut deposer d’vn droit qui appartient
à la seule personne des Roys. La commodité des tesmoins
& le lieu du delict pourroit pretexter cette attribution ;
à laquelle ledit Sieur Mareschal se sousmettroit volontiers.
Mais pour le Parlement de Grenoble il n’y a aucune cause legitime
de l’y renuoyer.

Le delict pretendu n’a point esté commis en Dauphiné, Aucun
des témoins, qui doiuent estre ouys n’y est habitué : ledit
sieur Mareschal n’y a aucune charge ; ny bien, ny domicile :
Aucun des prisonniers n’y est arresté qui puisse pretexter le
subiect d’y enuoyer les autres. Ainsi on ne peut rendre autre
raison dudit renuoy, que celle que dirent les Mages de Perse
à Cambises qui vouloit espouser sa Sœur : qu’il ne trouuoient
point dans leurs Liures que cela peût estre permis : mais bien
qu’ils auoient trouué que les Roys pouuoient faire tout ce
qu’il leur plairoit. Flaterie bien eloignée de la Iustice & Pieté
de nos Roys tres-Chrestiens, lesquels defendent expressement
à leurs Iuges & Parlements, d’auoir aucun égard à ce que leurs
Maiestez commanderoient, s’il est contraire aux Ordonnances
Roy aux. Aussi en telles rencontres les Roys permettent qu’on
en face tres humbles remonstrances à leurs Maiestez : comme
fait à present mondit Sieur le Mareschal de la Mothe.

Ces raisons ont obligé Monsieur le Mareschal de la Mothe, à
insister d’estre renuoyé audit Parlement de Paris pour se iustifier
estant certain comme il est de son innocence, s’il se fut recogneu
coulpable, il se fut arresté à l’autre chef de son declinatoire
Sçauoïr que comme Vice Roy, il n’estoit obligé de
rendre compte de ses actions qu’à Dieu, & en ce monde qu’à
la seule personne du Roy & de la Royne Regente sa Mere.

Ne s’agissant à present que du Declinatoire : Le Conseil de
Monsieur le Mareschal de la Mothe reserue à vn autre Factũ ses

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iustifications, pour lesquelles il semble que Dieu trauaille, à la
confusion de ses ennemis. Deja les plaintes des Catalans qu’ils
auoient publiées par toute la France, se trouuent au grand opprobre
des Autheurs condamnées par desaueu public, seellé
du grand Seau de cette Prouince. Ils ne parlent plus de millions
pris en Catalogne dont ils auoient cy-deuant preocupé
l’esprit de la Royne, de son Altesse Royale, de feu Monsieur le
Prince, & de son Eminence.

 

Et apres l’exacte recherche qu’ils ont faite depuis trois ans ;
apres la deposition des Intendants & Tresoriers qui ont pris
l’occasion de la disgrace dudit Sieur Mareschal, pour se decharger
sur luy de quelques sommes qu’ils doiuent au Roy :
Apres auoir fait entierement éplucher sa vie, par vn certain
Chirat plus artifieux que le fameux Cotel de Monsieur de
Montluc, toutes les accusations & charges sont reduites au
procez à soixante & dix mil liures, que le Conseil dudit Sieur
Mareschal maintient encore estre vne supposition, laquelle
se iustifiera non par des i’ay ouy dire, non par des Tesmoins
interessez n’y par des papiers non signez : Mais par preuues
contradictoirement opposées à telle calomnie, par des raisons
sans replique, par bons ordres du Roy, & de feu Monseigneur
le Cardinal Duc, & par actes signez, publics & authentiques.
Ce qui fait esperer que la Reine continuant dans
la douceur de sa Regence, arrestera par sa bonté le cours de
telles procedures, en donnant la liberté à vn Gentil-homme
qui ne la desire qu’afin d’employer sa vie pour le seruice de
sa Majesté.

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La Mothe-Houdancourt (Henri de) [?] [1649], PREMIER FACTVM, OV DEFENSES DE MESSIRE PHILIPPES DE LA MOTTE-HOVDANCOVRT DVC DE CARDONNE, & Mareschal de France, CY-DEVANT VICE-ROY ET CAPITAINE General en Cathalogne. Auec plusieurs Requestes, Arrests, & autres actes sur ce interuenus, tant au Conseil, qu’ailleurs. , françaisRéférence RIM : M0_2849. Cote locale : A_4_4.