Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D’VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. Tenuë Sainct Germain en Laye deux iours consecutifs. PREMIERE IOVRNEE. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : C_5_28.
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Et la Lune, quoy qu’elle ne chemine que dans les tenebres, ne laisse pas d’estre
égale dans la course vagabonde qu’elle fait, lors que toute la nature est en
repos ; les saisons composent si également l’année, qu’elle ne fait iamais que
douze mois. Enfin, Monseigneur, cette égalité admirable se rencontre dans le
flux & reflux de la mer, qui est le theatre de l’inconstance, & de l’inegalité.

 

Le Card. Toutes ces comparaisons ne sont pas mauuaises. Mais particulierement
la derniere, parce que dans I’inconstance & les orages de la guerre,
ie ne laisse pas de conseruer cette égalité entre les deux Couronnes, qui cause
tout le repos de l’Europe, de mesme que toutes ces égalitez que vous auez
tres-doctement descrites, composent cette harmonie, & cét accord qui se
void dans l’Vniuers.

Le Casuiste. Tellement, Monseigneur, que pour conseruer cette égalité
nous auons perdu Lerida.

Le Card. C’est bien là la raison generale, mais il y en a encore de particulieres.
Premierement pour faire valoir la necessité de nostre protection aux
Catalans, il les falloit tousiours laisser à la gueule du Roy d’Espagne.

Le Casuiste. Mais, Monseigneur, si vous eussiez conserué Lerida, les Catalans
seroient contraints de parler François, & n’auroient pas la liberté de
se ranger du costé de nos ennemis, si cette porte leur eust esté fermée.

Le Card. En cela vous dites vray. Mais ie voulois conseruer la gloire de
la prise de cette Ville, pour mon frere à qui ie destinois la Vice-Royauté.

Le Casuiste. Sa gloire eust esté grande, apres que deux Princes n’y ont
pû reüssir.

Le Card. C’est pour ce sujet en partie, que i’ay fait eschoüer leurs entreprises.

Le Casuiste. Pourquoy dites-vous en partie, Monseigneur ?

Le Card. C’est que mon interest propre m’a encore obligé à cela.

Le Casuiste. Ce n’est pas l’interest d’égalité, Monsieur.

Le Cardinal. Non, c’est plustost l’inegalité. Il estoit bien iuste, puisque
j’ostois les Couronnes aux Princes, & les conseruois à d’autres, que ie deuinsse
leur égal, & que pendant que j’auois le temps de disposer des finances
& des armes de la France, ie les employasse à conquerir quelque Souueraineté,
où j’eusse pû reconnoistre la France par les alliances que j’eusse
fait auec elle. Ce dessein formé ie jettay l’œil sur l’Italie, à cause des habitudes
que j’y ay, & que par argent, dont ie ne manquois point Dieu mercy,
l’on peut tout en ce païs-là.

Le Casu. Mais vostre Eminence reüssir mal la premiere année à Orbitello,

Le Card. C’est ce qui m’y fit opiniastrer l’année suiuante, & ie ne fus pas
marry que Lerida fust assiegé, parce que la piece estant plus importante de
beaucoup qu’Orbitello, ie ne doutois point que l’Espagnol ne m’abandonnast
Orbitello, pour sauuer Lerida. Veu aussi qu’il me voyoit opiniastre à
Orbitello, & que j’empeschois qu’il n’allast aucun secours au Comte de
Harcourt, pour luy faire sentir mon dessein, & luy faciliter la deliurance de
cette place.

Le Casuiste. Mais pourquoy joüastes vous le mesme tour à Monseigneur
le Prince ?



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