La Mère de Dieu, Pierre de (dit Bertius, Abraham) [1647], LES VERTVS ROYALES D’VN IEVNE PRINCE. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_1_1.
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Qu’vn ieune Prince qui n’a pas le courage
de se commander, ne merise pas
de commander aux autres

CHAPITRE XXVIII.

S’Il n’est rien de plus dangereux, qu’vn espée
entre les mains d’vn insensé ; Si les thresors
d’or, & d’argent, sont tres-mal employés, par
vne personne égarée de son bon sens, ie puis asseurer
qu’il n’est rien plus à craindre à vn Estat,
que de voir l’authorité souueraine, entre les mains
d’vn ieune Prince subiect à ses passions, & qui
ne prend loy que de ses mauuaises inclinations :
iamais il n’administrera bien la Iustice, & n’employera
au seruice du public, les thresors de la tres-haute
puissance, que Dieu luy a communiquée :
puis que nous sçauons, que le iugement est tousjours
conforme aux affections, & le mal-heur
est, que les Monarques se persuadent que tout vn
Royaume doiue plier à leurs volontés, & suiure
leurs sentimens, sans en examiner l’équité : D’où
vient qu’ils desertent les villes, & les Prouinces,

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quand elles ne fleschissent pas promptement à la
violence de leurs passions.

 

Vnusquisque
indicat,
secundum
quod
est affectur.

Entre les peuples, où le Sceptre est electif, on
ne choisira iamais vn ieune Prince, pour porter
le diademe, qu’il ne sçache bien se gouuerner, &
qu’apres de bonnes experiences de sa Royale vertu,
& nous remarquons dans les Sacrés Oracles,
que Dieu donnoit en mesme temps l’Empire des
passions, & la conduitte des peuples, à ceux que
sa prouidence choisissoit à vn si haut ministere :
& ie crois que sa bonté continuë encor à present
les mesmes faueurs ; mais que souuent les Monarques
abusent de ces graces, & que par leur
mauuaise conduitte, & par la seruitude de leurs
passions, ils se rendent indignes de l’Empire des
hommes.

Ie tiens pour tout impossible qu’vn ieune Prince
se charge l’esprit des affaires d’vn Royaume, tandis
que ses pensées sont occupées à satisfaire ses inclinations :
où que l’amour, la haine, la cholere
le tiennent en ceruelle : ils n’est besoin que d’vne
de ces Princesses, pour exercer sa tyrannie sur le
cœur d’vn Souuerain Monarque. Quels ordres
pourra t’il donner à la guerre, s’il ne songe iour
& nuict qu’à ses plaisirs ? si le ieu l’emporte, si le
bal l’attire, si la conuersation inutile des femmes
le diuertit, s’il n’a autre soin que de se vanger des
particuliers, de ruiner leurs maisons, de changer
leurs Domestiques ? bref, si luy mesme n’est pas

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content, ny en Paix, ie ne vois nulle apparence
de conseruer le repos de ses subiects.

 

Vn Prince
passionné
est incapable
de gouuerner.

Qui voudroit confier le Gouuernement absolu
d’vn Royaume à vn ieune Monarque, qui n’a
pas assés de courage pour se gouuerner soy mesme ?
comment resisteroit-il a des Armées ennemies,
n’ayant pas assés de generosité pour vaincre
ses mauuaises inclinations ? comment souffriroit-il
les incommodités de la guerre, s’il n’a pas
la constance de supporter les repugnances de sa
nature ; D’où vient quel apostre auoit raison de
dire que celuy qui ne pouuoit pas conduire sa
maison, ne meritoit aucune prelature dans la
Saincte Eglise, la veritable maison du Dieu Viuant
ainsi vn ieune Prince qui n’a pas asses de
soin, du Royaume interieur de son ame, montre
clairement son insuffisance au Geuuernement
des peuples. Le mépris du principal, temoigne
la negligence de l’accessoire. Ou bien ce seroit
vne folie de voir vn Monarque, se consacrer au
seruice du public, & s’oublier de sa propre conduitte.

[illisible]

De plus, les passions d’vn ieune Prince, ressemblent
à de petites furies, dont les saillies sont tres-dangereuses,
& les effects tres-funestes, l’amour
l’affolle, la hayne l’aigrit, les desirs l’enflamment,
l’enuie le ronge, la crainte le consomme, la cholere
le fait dessecher : peu de personnes ont le
courage d’aborder vn Seigneur, qui est presque

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tousiours de mauuaise humeur, rude en ses paroles,
brusque en ses actions, sauuage en ses deportemens,
& qui n’apporte aucun soin, à donner
satisfaction à son peuple.

 

[illisible]

Combien de fois est-il arriué, que Dieu à
transferé le Sceptre de Iuda à vne maison estrangere,
quand les successeurs legitimes, par le deréglement
de leurs passions, s’estoient rendus indignes
d’occuper le Thrône Souuerain, & de
commander au peuple d’Israël ? Les enfans du
grand Prestre Eli, ne deuoient ils pas entrer en
I’Office du Sacerdoce, dont ils ont esté priués, en
chastiment de leurs desordres ? Et selon la remarque
de nos Historiens, la tres-sage prouidence,
a permis que la premiere race de nos Roys, n’a
pas continué dans le Gouuernement des peuples,
& que la Couronne de France, a quitté la Famille
Meroüienne, pour entrer en celle des Carlomans,
à cause que les ieunes Princes de cette premiere
Lignée, estoiẽt fort subiects à leurs passions,
& tellement captifs de leurs appetits, qu’ils commettoient
souuent des meurtres, des sacrileges,
& des crimes, qui ternissoient le lustre de la Pourpre
Royale, & faisoient connoistre que leurs
mœurs sentoient encore quelque peu de la cruauté
Payenne.

Les mal-heurs
arriué
à des
Princes
passiõnés.

Le Gouuernement des passions, est tellement
necessaire à ceux qui desirent de Gouuerner
les peuples, que les plus dereglés, ne sont pas si

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tost eleués au Thrône Souuerain, qu’ils taschent
de déguiser leurs mauuaises humeurs, & de paroistre
tout autres qu’ils ne sont en leur particulier,
afin de contenter les peuples : les raisons Politiques
enseignent ces preceptes, autrement les
Princes seroient l’vnique obiect de la hayne publique,
le mépris des nations, & leur Empire ne
seroit pas beaucoup different de la Tyrannie.

 

Comme le dereglement des passions, eloigne
les legitimes Monarques du Thrône Royal, &
leur fait tomber des mains, les Sceptre qui leur
estoit deu par naissance, de mesme en voyons
nous quelques-vns, tellement regles en leurs inelinations,
que quoy que la Couronne ne leur
soit pas écheuë par heritage, il semble qu’elle soit
deuë à leurs merites. Ie veux finir ce Chapitre, par
vn exemple qui s est presente a nos yeux, en ce dernier
Siecle, en la personne de l’Eminentissime
Cardinal Duc de Richelieu, dont la memoire ne
doit pas estre moins agreable aux fideles Frãçois,
qu’elle est redoutable aux ennemis de nostre Monarchie :
Ceux qui ont eu le bon-heur, de conuerser
plus particulierement auec ce grand Ministre,
n’ont cessé d’admirer la force de son esprit,
la solidité de son iugement, la subtilité de son raisonnement,
la bonté de sa memoire, la viuacité
de son intelligence, accompagnée d’vne diligence,
assiduité, & vigilance incomparable dans les
affaires publiques.

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Mais par dessus toutes ces belles qualités, éclattoit
l’Empire de ses passiõs, qu’il gouuernoit auec
tant d’adresse, que leurs actiõs n’interrompoient
point ses desseins, & ne troubloient aucunement
ses entreprises : de quoy ses ennemis estoient
fort estonnés. Ie m’engagerois dans vn long
discours, si ie descendois à quelques actions particulieres,
pour montrer sa genereuse constance
dans la victoire de ses passions ; Ie ne puis pourtant
passer sous silence, ce que i’ay veu a Lyon
lors que LOVYS XIII. son Roy, & son Maistre,
tomba malade à l’extremité, & fut abandonné
des Medecins : ce fut dans cette conioncture de
tristesses, & d’affaires, que nostre genereux Ministre
témoigna vn Domaine absolu sur les mouuemens
de son esprit, & les inclinations de sa nature :
compatissant d’vn costé à l’affliction de son
cher Prince, qu’il ne quittoit ny iour ny nuict : &
ne cessant de l’autre, de mettre ordre aux guerres
d’Italie, auec vne égalité d’esprit, & vne diligence
merueilleuse.

Bel exẽple
de l’empire
que le
Cardinal
Duc de Riche
lieu
exerçoit
sur ses passions.

L’an 1630.
durant les
guerres
d’Italie, &
de Sauoye.

Il ne faut point douter, que la France n’ait de
grãdes obligations, à la memoire de tres-Illustres
Cardinaux, qui ont beaucoup cõtribué à la gloire
de nostre Monarchie ; la rare prudence du Cardinal
de Ioyeuse, la sçauante plume de Du Perron,
la negotiation d’Ossat, la douceur du Cardinal
de Rets, la pieté de Sourdis, la deuotion de Berulle,
la Religion du Cardinal de la Rochefoucaut,

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ont honoré la Pourpre des Princes Ecclesiastiques :
Mais le zele de la Couronne de France,
qu’a tousiours temoigné le Cardinal de Richelieu,
à beaucoup oblige la Monarchie. Et ie
mets au rang des actions Heroïques de LOVYS
XIII. d’heureuse memoire, d’auoir choisi vn si sage
Ministre, pour le Gouuernement de ses Estats ;
qui a commandé ses inclinations auec tant d’Empire,
& a conduit auec tant d’adresse les affaires
de cette Monarchie, qu’elles ne pouuoient pas
mieux reussir à l’auantage de la Couronne. Celuy
qui a succedé à vn si haut Ministere, durant la minorité
de LOVYS DIEV-DONNE, ne sera pas
moins heureux en ses Conseils, comme il a desia
fait paroistre dans plusieurs occasions, & ayant
appris depuis long-temps, à conduire ses passions,
il fera connoistre son merite dans le Gouuernement
des peuples.

 

Quelques
Cardinaux
à qui la
France a de
grandes
obligatiõs.

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